Episode 4

Je terminai ma chute dans un bain d’eau glaciale dont l’odeur pestilentielle m’arracha un haut-le-coeur à la seconde où j’émergeai, me débattant pour rester à la surface malgré le poids de mes armes.
Je laissai à mes yeux quelques secondes pour s’habituer à l’obscurité et finis par apercevoir quelques marches qui semblaient mener hors de l’eau. Même s’il faisait trop sombre pour distinguer les alentours, je décidai de les monter plutôt que de rester plus longtemps au milieu de ce bassin dont j’imaginais que la puanteur n’était pas le pire aspect.
Je me hissai sur la terre ferme et me relevai lentement, reprenant mon souffle. Le sol pavé de vieilles dalles brisées m’indiquait que j’étais toujours dans le temple, quelques mètres plus bas. Je cherchai ma lampe torche mais réalisai que j'avais dû la perdre dans la bataille. Même si je n’entendais plus rien au-dessus de moi, j’entrepris d’appeler à l’aide, criant aussi fort que j’en étais capable, consciente que cette tentative resterait vaine.
VISALA : Jose ! Roxane ! Flux !
Bien sûr, je n’obtins jamais de réponse. Du moins pas de mes compagnons : une voix grinçante sortit de quelque part devant moi dans la pénombre, manquant de me faire hurler de surprise.
VOIX : Ils ne t’entendent pas.
Je sursautai et brandis mon arc, encochant rapidement une flèche et visant dans la direction générale de l’intrus.
VISALA : Qui êtes-vous ?
Je repérai enfin une mince silhouette dans le coin de la pièce, recroquevillée contre le mur et tremblant manifestement de peur.
LUI : Ne me tue pas, par pitié ! Je n’y suis pour rien !
Réalisant que je venais de terrifier une autre des victimes sans défense de ces créatures, je me détendis et accrochai mon arc à mon sac à dos avant de faire quelques pas vers mon co-détenu, lui parlant d’une voix aussi rassurante que possible.
VISALA : Pardon, j’ai juste été un peu surprise, je ne pensais pas trouver quelqu’un ici. Je m’appelle Visala. Mes amis ne doivent pas être loin, ils vont nous sortir d’ici.
N’entendant pas de réponse, et me disant que j’avais peut-être inquiété cet inconnu plus que je le pensais, je fis de mon mieux pour le mettre en confiance en ouvrant la conversation, convaincue que Jose me trouverait bientôt.
VISALA : Depuis combien de temps tu es coincé ici ?
LUI : Un mois. Deux, peut-être.
Sa voix était étouffée et semblait venir de tous les coins de la pièce à la fois, comme un écho.
VISALA : Deux mois ?! Comment as-tu pu survivre comme ça aussi longtemps ?
LUI : Je suis resté caché.
J’allais préciser ma question, mais l’homme risqua alors un regard dans ma direction, me permettant pour la première fois d’apercevoir son visage quelques secondes. Je restai bouche bée, espérant par-dessus tout que ma vue me jouait des tours mais acceptant assez vite la réalité. J’encochai une flèche.
Le mort-vivant se jeta à terre dans un nouveau gémissement de terreur.
LUI : Je t’en supplie, non ! Je ne suis pas avec eux ! Les autres, en haut ! Je ne suis pas comme eux !
VISALA : Donne-moi une bonne raison de te croire.
LUI : Je... Je peux t’aider à sortir d’ici. Je peux te montrer la sortie.
VISALA : Ou me mener à eux.
LUI : Tu es exactement où ils te veulent.
VISALA : Comment ça ?
LUI : Regarde derrière toi...
Je fis quelques pas en arrière et tournai lentement la tête, prenant soin de ne pas baisser ma garde.
Mais la flèche manqua de tomber à mes pieds lorsque je compris ce que le mort-vivant avait voulu me montrer, et que je n’avais pas remarqué en sortant de l’eau dans l’obscurité.
LUI : Tu es dans la fosse.
Dans le bassin, à quelques centimètres seulement de l’endroit où j’étais tombée, flottaient plusieurs dizaines de cadavres dont certains étaient sûrement déjà décomposés depuis plusieurs semaines. Je fis un pas en arrière, m'attendant à tout moment à les voir se lever et m'attaque comme l'avaient fait les autres auparavant. Mais l'odeur se faisait de plus en plus forte, et de plus en plus insoutenable, menaçant de me faire tourner de l'oeil.
LUI : Ils ne se réveilleront pas, si c'est ce qui t'inquiète.
VISALA : Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
LUI : Ca ne marche pas comme ça. Ils ne peuvent pas revenir seuls à la vie.
VISALA ; Comment est-ce que ça marche alors ?
LUI : C'est le prêtre qui les ranime.
Sa voix trembla de peur à cette seule idée.
Je pris appui contre le mur de pierre froide le temps de récupérer mes esprits, et faisant de mon mieux pour contrôler ma peur et mon dégoût, je risquai un regard vers la pile de cadavres. La plupart devaient être les touristes disparus dont Sevrilla nous avait parlé. Certains étaient encore plus jeunes que moi. J’imaginai la terreur sur leurs visages et leurs derniers instants, coincés dans cette prison, avec pour seule compagnie la mort et les rats.
Je pris une grande inspiration, m’efforçant d’oublier les trente dernières secondes de ma vie, et me tournai vers le mort-vivant.
VISALA : Dix minutes.
LUI : Quoi ?
VISALA : Je veux être sortie d’ici dans dix minutes. Pas une de plus.
LUI : Il y a un passage caché dans la pierre un peu plus loin. Ils l’utilisent quand ils viennent... vider la cuve. Je peux te montrer où...
VISALA : Non. Tu viens avec moi. Et si tu me mènes à eux...
Je le fusillai du regard, et les deux orbes vertes rétrécirent presque assez pour disparaître complètement l’espace d’un instant.
VISALA : ... la première flèche est pour toi.

Je mis tout mon poids contre le rocher, ne parvenant qu’à le faire bouger de quelques centimètres, à peine assez pour me faufiler à travers l’ouverture, juste après mon guide -- même si je réalisai rapidement que je le traitais plus comme un otage que comme un complice.
Le lueur d’une torche vint enfin m’apporter un peu de réconfort après ces quelques temps dans la pénombre, même si je savais que j’étais encore trop loin de l’entrée du temple pour apercevoir la lumière du jour.
Le mort-vivant pointa du doigt dans une direction et commença à avancer, n’essayant même pas de dissimuler sa peur à chaque fois que nous croisions un couloir ou entendions un bruit suspect. Il n’avait définitivement pas beaucoup en commun avec les monstres qui nous avaient attaqués plus tôt.
VISALA : Tous ces pauvres gens... Pourquoi ne les as-tu pas aidés ?
LUI : La plupart... la plupart étaient déjà morts en arrivant dans l’eau.
VISALA : Et les autres ?
LUI : J’avais peur...
Ne contrôlant plus ma colère, je me mis à hurler, faisant résonner ma voix à travers les corridors inhospitaliers du temple.
VISALA : Peur ?! TU avais peur ?
Il jeta des regards inquiets dans tous les sens, se retenant tout juste de se rouler en boule.
LUI : Pas si fort, tu vas nous faire repérer !
VISALA : Qu’est-ce que tu penses qu’ils ressentaient, toutes ces heures au fond de ce trou, dans le noir, entourés par les cadavres ?
LUI : J’ai voulu les aider, je te le promets. Chaque jour je voulais leur parler, leur dire de me suivre, mais je n’y arrivais pas. Je pensais à ce qu’ils me feraient si je leur montrais ce que j’étais...
VISALA : Pourquoi moi alors ?
LUI : Je ne sais pas.
Je laissai passer quelques secondes, mais m’impatientai vite.
VISALA : Qu’est-ce que tous ces touristes avaient de si terrifiant que je n’ai pas ?
LUI : Rien. C’est plus... quelque chose que tu as en plus. Comme si tu me ressemblais plus qu’à eux.
J’aurais dû réfléchir plus à ce qu’il avait voulu dire, mais j’étais trop perturbée pour penser clairement. Je bandai mon arc et enfonçai la pointe acérée de la flèche contre son crâne, lui arrachant une goutte de sang noirâtre et le forçant à reculer contre le mur, les mains levées entre nos visages, comme s’il cherchait à se protéger de ma vue, qui suffisait à le terrifier.
LUI : Non !
Je ne savais pas ce que je faisais. Et je ne le saurais jamais. Peut-être aurais-je tiré. Peut-être me serais-je calmée. Peut-être aurais-je eu pitié. Mais c’est ce moment que choisit un groupe de morts-vivants pour faire irruption, probablement attirés par nos hurlements.
Ils étaient une dizaine et étaient tous armés de sabres tâchés de sang séché. Ne perdant pas une seconde, ils se jetèrent dans notre direction.
Folle de rage, je me tournai vers l’un d’eux et laissai partir ma flèche, le touchant à la mâchoire et l'envoyant à terre.
Le deuxième avait déjà plongé sur moi, brandissant son arme, et je n’eus que le temps de lever mon arc au-dessus de ma tête pour me protéger.
Je reconnus le cliquetis maintenant familier et le coup de feu qui envoya le monstre voler plusieurs mètres en arrière, décapité.
Jose récupéra la tête en plein vol, m’adressant un clin d’oeil en passant devant moi à toute vitesse, et la jeta au milieu de nos agresseurs avec une telle force que l’un d’entre eux tomba en arrière, juste à temps pour éviter une deuxième balle qui en faucha un autre.
Dans un éclat de rire, le géant Meastien arracha le bras du mort-vivant qui l’attaquait à présent et s’en servit pour frapper les autres.
Je ne pus m’empêcher de sourire malgré cette nouvelle effusion de sang, soulagée de l’avoir enfin retrouvé, et pendant quelques secondes, j’oubliai même l’horreur de la fosse.
Jose mit un coup de pied dans le crâne du dernier assaillant, déjà à terre, l’envoyant voler au fond du couloir, puis se tourna vers moi et me jeta quelques flèches qu’il avait sorties de sa poche.
JOSE : Tiens, j’en ai trouvé d’autres sur la route.
Son regard croisa le mien, et devint aussitôt noir de rage. Je réalisai alors que je ne souriais plus, et que sortie du feu de l’action, j’avais laissé échapper une larme, toujours sous le choc.
Son arme se leva à nouveau et le mort-vivant qui avait jusqu'alors réussi à rester inaperçu se cacha derrière moi, poussant un gémissement de peur.
JOSE : Qu’est-ce qu’il t’a fait ?
LUI : Ne le laisse pas me tuer, s’il te plait !
JOSE : Visala. Qu’est-ce qu’il t’a fait ?
Je repris mon souffle et essuyai mon visage, faisant de mon mieux pour reprendre mes esprits.
VISALA : Rien. Il m'a aidée à m'échapper.
Je me tournai vers la créature terrifiée et la fusillai du regard.
VISALA : Et il va nous mener au responsable de tout ça.
Jose fronça les sourcils, l'air pensif, puis me sourit de toutes ses dents et passa un bras autour de mes épaules, reprenant la direction de la sortie du temple.
JOSE : Ok !

Flux et Roxane se précipitèrent vers nous, mais ralentirent en voyant arriver derrière moi le mort-vivant.
La main de Roxane se posa sur son arme.
FLUX : Visala ! Tu n’es pas blessée ?
ROXANE : Jose, qu’est-ce que c’est que cette merde ?
Jose afficha un air outré.
JOSE : Tu sais Roxane, c’est pour ça que tu as autant de mal à te faire des amis.
VISALA : Il m’a aidée à sortir. Tu peux lui faire confiance. Pour l'instant.
ROXANE : J’hésite un peu, les cinquante derniers ont essayé de me tuer. Je suis tentée de me fier aux statistiques.
Flux étouffa un ricanement, amusé par la réaction de Roxane, comme il l’avait été le matin-même avec moi lorsque nous avions rencontré Sevrilla, puis se tourna vers notre invité.
FLUX : Tu as un nom ?
Le mort-vivant montra juste sa tête, toujours caché derrière Jose et moi.
LUI : Non.
JOSE : Je l’ai appelé Flux 2.
FLUX : Evidemment...
JOSE : Hmm... Non, tu as raison. Tu seras Flux 2, et lui Flux.
LUI : Je ne suis vraiment pas sûr d’avoir besoin d’un nom...
JOSE : Evidemment que si ! Comment je vais te différencier de l’autre Flux, sinon ?
ROXANE : Ce truc est un mort-vivant programmé pour tuer, pas un chiot, Flux ! On se fout de lui trouver un nom !
JOSE : Moi je l'aime bien...

Flux se tourna vers Roxane et afficha un air triomphal.
FLUX : Mais oui ! Carl !
ROXANE : Carl ?
FLUX : Quand j’étais enfant, j’avais un chien. Il s’appelait Carl.
JOSE : Sérieusement ? C’est le nom le plus pourri que j’ai jamais entendu pour un chien. A part Flux, peut-être.
ROXANE : Pourquoi pas ?! Il s’appelle Carl ! Maintenant est-ce qu’on peut le tuer ?
Carl se cacha à nouveau, et je me surpris à me redresser pour le protéger.
Roxane me regarda dans les yeux et sembla y voir la même chose que Jose quelques minutes plus tôt. Elle soupira et baissa son arme.
VISALA : Il peut nous dire où trouver celui qui a causé tout ça.
ROXANE : Il peut rester. Mais je n'ai pas besoin de son aide. Je sais déjà où aller.

VISALA : Où ça ?
ROXANE : X'arnas.
Jose poussa un cri de joie.
JOSE : On va voir Ormus ? Génial !
Roxane serra le poing et se mit en marche.

ROXANE : Oh oui, Jose. On va voir Ormus.

A suivre...