Episode 1

21 Onis 995 

Le petit avion, à peine assez grand pour nous quatre et le pilote, se posa dans un dernier effort sur la piste cabossée et nous descendîmes, soulagés de sentir enfin la terre ferme sous nos pieds.
L'air chaud et humide m'enveloppa comme une couverture, me donnant la désagréable impression que je nageais dans ma sueur, ce qui n'était d'ailleurs pas loin d'être le cas après les dix heures de vol au-dessus de l'océan.
Loin devant moi, j'apercevais déjà la cime des arbres qui couvraient presque la totalité du territoire, et que même les plus hauts immeubles du riche centre-ville ne parvenaient pas à cacher.
FLUX : Bienvenue à Malthura, Visala.
JOSE : Merde, Flux, tu vas quand même pas encore nous faire une de tes leçons d'histoire pourries !
Flux afficha un air dépité alors que Roxane avançait déjà d'un pas décidé vers le parking de l'aérogare militaire. Elle cria un message à l'adresse de Jose par-dessus son épaule :
ROXANE : Comme je suppose que tu vas encore te barrer sans prévenir, n'oublie pas qu'on a rendez-vous avec Sevrilla à dix heures.
Mais Jose m'avait déjà attrapée par le bras et entraînée loin devant Roxane, que j'entendis juste pousser un dernier soupire.
Un bref regard derrière nous m'apprit aussi qu'elle ne retenait pas son sourire amusé.

D'après tout ce que j'avais pu lire au sujet de l'état-ville de Malthura dans les journaux récemment, la guerre civile était imminente. Le gouvernement en place avait cédé à la demande du peuple d'organiser les premières élections du pays, mais cela n'avait pas calmé les tensions entre les civils et l'armée, qui avait bien l'intention de rester au pouvoir coûte que coûte. Ce que les journaux ne montraient pas, cependant, c'était le quartier pauvre de la ville, qui l'encerclait complètement et que Jose et moi traversâmes pour accéder à la plage.
Entassés dans des chaumières de bois et d'argile aussi grandes qu'une cuisine odysséenne, des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants nous regardaient passer d'un oeil aussi curieux que méfiant, comme si notre présence présageait soit de la fin de leur misère, soit d'une nouvelle ère de chaos dans leur ville pourtant déjà bien dévastée.
Jose faisait souvent ce genre d'effet.

Nous arrivâmes sur la plage et j'enlevai mes chaussures avant de les déposer délicatement dans le sable pour pouvoir pour la première fois de ma vie marcher dans l'océan.
Jose avait déjà plongé tout habillé, prenant juste le temps de jeter son revolver derrière lui. Je le ramassai et l'accrochai à ma ceinture, puis fis quelques pas jusqu'à m'enfoncer dans l'eau jusqu'à hauteur de mes genoux.
Jose sortit des vagues d'un bond et cracha un filet d'eau salée dans ma direction avant d'éclater de rire.
JOSE : MALTHURA ! J'adore cet endroit ! Je te promets Visala, ça va être nos meilleures vacances !
VISALA : Vacances ? Je croyais qu'on était là pour un contrat.
Il rit de plus belle, mettant de grands coups de pieds dans tous les sens, m'éclaboussant de plus belle.
JOSE : Oui ! Je te l'ai dit, ça va être génial !
J'appris ce jour-là que Jose ne savait pas ce qu'étaient des vacances, mais que le concept ne l'aurait de toute façon probablement pas emballé.

Le centre ville n'avait rien à voir avec les autres quartiers de Malthura : de larges rues pavées serpentaient entre les immeubles, dont certains n'avaient rien à envier aux plus impressionnants gratte-ciels de Thalion. Mais plus fascinants encore étaient ces vieux bâtiments de terre et d'argile, datant probablement de la fondation de la ville, et qui paraissaient perdus au milieu de toutes ces tours de verre et d'acier. La plupart d'entre eux semblaient encore servir leur fonction d'origine, comme l'hôtel de ville, qui n'avait manifestement jamais déménagé en plus de deux cent ans.
Jose poussa un cri triomphal et traversa brusquement la rue, sautant au-dessus d'une voiture qui l'aurait autrement percuté, forçant son conducteur à piller, manquant lui-même de provoquer un accident en se faisant emboutir par le camion qui le suivait, ne me laissant d'autre choix que d'attendre que la circulation ait repris son cours avant de rejoindre Jose.
Celui-ci m'attendait en face d'un vendeur itinérant qui cuisinait dans une charrette à deux roues qui devait avoir au moins mon âge des pâtisseries traditionnelles, comme j'en avais déjà aperçues à travers les vitrines de certains restaurants malthurans de Thalion.
Jose en avait déjà acheté une dizaine. Il m'en tendit la moitié. J'en pris une et la dégustai, me maudissant à voix basse pour ne l'avoir jamais fait avant.
Le goût de la cannelle et celui des baies d'Izzril semblaient soudain n'exister que pour se marier dans le bain d'huile bouillante que ce petit marchand préparait tous les jours en quittant le quartier poussiéreux qu'il habitait.
Jose, la bouche pleine, me dit quelque chose, dont je ne compris évidemment pas un mot, et je tentai de répondre, manquant tout juste de pouffer de rire et de lui cracher des fruits au visage.
J'allais m'attaquer à la deuxième friandise qu'il m'avait tendue lorsque nous entendîmes tous deux de l'autre côté de la rue, à quelques mètres à peine de nous, de l'agitation.
Il s'agissait d'une femme, âgée d'une cinquantaine d'années, avançant d'un pas menaçant vers deux soldats montant la garde devant un bâtiment officiel qui devait être d'après mes connaissances très limitées en Malthuran une sorte d'ambassade. Elle agitait sous leur nez un doigt accusateur, tout en hurlant à leur adresse ce qui ne pouvait être un discours très amical. Les deux soldats se regardèrent, puis décidèrent de répondre à cette provocation en faisant à leur tour quelques pas vers la femme, posant de façon très explicite une main sur leurs fusils. Ils prononcèrent à leur tour quelques mots, que je ne compris pas plus que les précédents, puis l'un d'entre eux lui mit un puissant coup de crosse qui l'envoya immédiatement au tapis.
Je restai bouche bée face à ce spectacle, faisant par réflexe un pas vers la femme pour l'aider à se relever, mais le marchand de pâtisseries me retint d'une main avant de me lancer un regard apeuré.
Je me détendis, bien qu'un peu bouleversée, pensant que le conflit était terminé, mais le deuxième soldat s'approcha à son tour de la femme, la plaqua contre le trottoir brûlant d'un pied solidement chaussé et lui cracha dessus sous le regard amusé de son collègue.
Je regard plein de haine, je me tournai vers Jose.
VISALA : On ne peut pas les laisser faire ça !
Jose finit d'avaler son sixième gâteau à la cannelle avant de me répondre.
JOSE : Quoi ?
Je le tournai dans la direction de la scène et pointai du doigt vers la femme à terre.
VISALA : Elle est seule et désarmée !  On ne peut pas rester là et les regarder s'en prendre à elle comme ça !
Jose sembla soudain comprendre et pouffa de rire.
JOSE : Ok, j'ai une idée.
Il fourra une dernière friandise dans sa bouche et traversa la rue.

JOSE : Sérieusement ?!
VISALA : Oui, Jose, sérieusement.
JOSE : C'est la première fois que tu es en prison ?
VISALA : Aussi étonnant que ça puisse paraître, oui.
JOSE : Mais, je veux dire, juste à Malthura, ou en tout ?
Un claquement de mains de l'autre côté des barreaux, aussi lent que sarcastique, m'empêcha de répondre. C'était Roxane, accompagnée de Flux, d'un garde et d'un deuxième Malthuran dont l'uniforme et les nombreuses médailles laissaient supposer qu'il était bien trop haut placé pour se trouver dans cette prison crasseuse au milieu de tous les jeunes gardes à peine sortis de l'école de police, si une telle chose éxistait bien à Malthura.
ROXANE : Deux heures. Je vous laisse seuls deux heures, et voila où je vous retrouve... Des soldats, sérieusement ?
VISALA : Tu n'étais pas là. Tu aurais fait la même chose.
ROXANE : Pas tout à fait, non...
Elle se tourna brusquement vers Jose, juste le temps de finir son sermon.
ROXANE : Et d'ailleurs, faut vraiment que tu arrêtes de te soulager sur n'importe quoi, Jose. Enfin... Bigot, réfléchis un peu !
Ses yeux se posèrent à nouveau sur moi.
ROXANE : Quant à toi...
Elle soupira, secouant la tête d'un air abattu.
ROXANE : Laissez-nous un instant, s'il vous plait.
Le garde attendit l'autorisation de son supérieur, qu'il reçut sous la forme d'un hochement de tête accompagné d'un clin d'oeil, puis il déverrouilla la porte de la cellule, laissant sortir Jose, qui quitta la pièce avec Flux et les deux Malthurans, me laissant seule avec Roxane. Je baissai les yeux, un peu intimidée. Roxane soupira à nouveau, manifestement peu pressée de se lancer dans cette conversation qu'elle ne savait probablement pas comment aborder et aurait de toute évidence préféré éviter un peu plus longtemps.
ROXANE : Visala...
VISALA : Roxane, tu aurais dû voir comment...
ROXANE : Je sais. Je veux dire, je te crois. Ce genre de chose arrive souvent par ici.
VISALA : Mais...
Elle fit un pas vers moi et posa une main sur mon épaule.
ROXANE : J'étais comme toi, à une époque. Mais j'ai été obligée de changer. Pour mon propre bien.
VISALA : Quoi, c'est comme ça que les choses se passent par ici, alors je devrais les accepter sans rien dire ?
ROXANE : Non. Mais si tu veux rester avec nous, Visala, je t'assure que tu verras bien pire que ce qui est arrivé à cette femme dans la rue. Mieux vaut pour toi que tu t'y prépares maintenant.
Je détournai à nouveau le regard, consciente qu'elle avait raison.
ROXANE : Tu ne guériras pas toute la misère du monde. On en sauvera certains, mais pas tous. Et Malthura est en pleine guerre civile. On ne sauvera pas un peuple entier, Visala. Tu peux vivre avec ça ?
J'essuyai la poussière de mon visage, m'efforçant de reprendre mes esprits et de garder la tête haute.
VISALA : Je ferai de mon mieux.
Elle m'adressa un sourire en coin et me fit signe de sortir de la cellule. Alors que je passais devant elle, elle me rattrapa d'une main et me regarda dans les yeux.
ROXANE : On en sauvera certains. Je te le promets.
Je lui souris à mon tour, un peu rassurée.

Nous allâmes rejoindre Jose et Flux, qui se tenaient devant la porte d'un grand bureau en compagnie de l'homme qui nous avait libérés.
ROXANE : Désolée pour ce malentendu.
Il me lança un grand sourire qui semblait compatissant et fit un pas de côté pour nous laisser passer.
LUI : C'est tout oublié. Entrez, je vous en prie.
ROXANE : Jose, Visala, je vous présente notre client, le Général Sevrilla, chef de l'armée Malthuranne.

A suivre...

Episode 2

Le Général Sevrilla était un grand homme aux épaules larges et à la mâchoire carrée. Enfoncé dans son fauteuil de cuir, il posa un pied sur la table et s'alluma un cigare avant de reposer la boîte sur son bureau et de la faire glisser dans notre direction, nous invitant d'un geste à nous servir.
Jose fut le seul à accepter.
SEVRILLA : Merci à vous tous d'être venus.
Il parlait d'une voix forte et s'exprimait avec un accent très prononcé dans un odysséen approximatif.
SEVRILLA : Je ne crois pas avoir été présenté à votre nouvelle associée.
Il m'adressa un grand sourire qui me rappelait un peu celui que Husker affichait en permanence mais portait bien mieux.
Je fis comprendre à Roxane d'un regard que cette rencontre ne me plaisait pas du tout. Elle m'ignora et répondit à Sevrilla d'une voix calme et assurée.
ROXANE : Visala fait partie de notre équipe maintenant. Elle est chargée de surveiller Jose. Comme vous avez pu le constater, c'est une tâche difficile.
Jose n'avait pas entendu que nous parlions de lui. Il était occupé à graver ses initiales sous le bureau de notre hôte à l'aide d'un massif couteau qui passait pour un canif entre ses mains de géant.
Sevrilla garda les yeux sur moi et poursuivit.
SEVRILLA : Je suis navré que vous ayez dû assister à cette démonstration de violence. Soyez assurée que les deux soldats ont été sévèrement réprimandés pour leurs actes inacceptables.
VISALA : Je n'en doute pas.
Flux me lança un regard pensif puis étouffa un ricanement dans sa barbe. Je fronçai les sourcils, me demandant ce qui avait pu lui passer par la tête.
ROXANE : Maintenant que cette histoire est derrière nous, si nous parlions affaires ?
SEVRILLA : Avec plaisir ! Comme je vous le disais, je vous suis reconnaissant d'être venus jusqu'ici. Vous m'avez été vivement recommandés, et je ne pouvais me satisfaire que des meilleurs.
ROXANE : Moi qui m'étais promis de ne pas rougir.
Sevrilla sourit poliment, mais redevint rapidement sérieux lorsqu'il en arriva finalement à la raison pour laquelle il avait fait appel à nous :
SEVRILLA : La jungle d'Izzril est un endroit dangereux, comme vous le savez certainement. Très dangereux. Il est facile de s'y perdre, et les animaux sauvages sont une menace de taille. Sans compter quelques tribus hostiles.
VISALA : Vous avez besoin de nous pour vous tenir la main dans la méchante jungle, Général ?
Sevrilla m'ignora. Roxane me lança un regard perplexe alors que Flux tentait à nouveau de cacher son air amusé et que Jose finissait de graver la date du jour sous ses initiales.
SEVRILLA : Les disparitions ont toujours été un problème. Mais elles arrivent de plus en plus souvent. Et je ne sais plus quoi faire.
ROXANE : Vous voulez que nous retrouvions des touristes égarés ?
SEVRILLA : Si vous pouvez les ramener sains et saufs, tant mieux. Mais je n'y crois pas. Ces pauvres gens sont certainement morts depuis longtemps.
FLUX : Vous pensez que quelqu'un ou quelque chose est à l'origine de cette recrudescence des dispritions ?
SEVRILLA : Oui. Je ne sais pas de quoi il s'agit, mais je pense savoir où le trouver : Marb Kuoz.

ROXANE : Flux ?
FLUX : Un ancien temple de la mort abandonné depuis plusieurs décennies, si mes souvenirs sont bons.
SEVRILLA : Il avait été dédié au grand prêtre de la mort Kuoz, qui n'en est jamais ressorti d'après la légende.
ROXANE : Et vous pensez que ces disparitions sont liées au temple ?
SEVRILLA : Oui.
FLUX : Soyons clairs, si vous le voulez bien, vous êtes bien en train d'insinuer que ces gens ont été enlevés par des esprits ?
Sevrilla acquiesça d'un hochement de tête dramatique et un silence pesant s'installa dans la pièce, alors que Roxane et Flux songeaient à ce qu'ils venaient d'entendre. Jose avait commencé sous ses initiales et la date ce qui ne pouvait être qu'une caricature de Sevrilla, qui attendait toujours que l'un d'entre nous reprenne la parole.
Ce fut moi.
Je pouffai d'un rire volontairement insultant et lui lançai un regard noir.
VISALA : Des esprits, vraiment ?
SEVRILLA : J'espère me tromper.
VISALA : Et votre fière armée n'était pas capable d'enquêter elle-même ?
ROXANE : Visala, tu vas donner au Général l'impression que son contrat ne nous intéresse pas.
SEVRILLA : Mes hommes sont trop superstitieux pour entrer dans Marb Kuoz.
VISALA : Ils m'avaient l'air particulièrement courageux, pourtant, lorsqu'ils battaient une femme à terr...
ROXANE : Visala, assez !
Roxane se leva d'un bon, faisant même vaguement sursauter Jose, qui manqua de se couper un doigt avec son couteau. Flux se redressa à son tour et, comme à son habitude, entreprit de détendre l'atmosphère.
FLUX : Nous acceptons bien entendu votre contrat, Général. Puisqu'aucun de nous ne croit aux esprits, explorer Marb Kuoz ne sera pas un problème.
Roxane se laissa influencer par le calme de Flux et fit un pas vers la porte, un peu apaisée.
ROXANE : Nous discuterons du prix une fois que nous en saurons plus sur ce qui nous attend là-bas.
SEVRILLA : Bien sur, tout ce que vous voudrez, si vous me débarrassez de ce cauchemar ! 
Il nous raccompagna dehors et nous souhaita bonne chance avant de prendre congé.
Roxane passa devant nous sans un regard et s'adressa à moi d'une voix froide.
ROXANE : La prochaine fois, c'est moi qui parle.
Flux s'arrêta à son tour devant moi et me lança à nouveau un regard amusé.
FLUX : Du sarcasme ? Je ne t'avais encore pas vue comme ça.
Son sourire s'élargit.
FLUX : Elle déteint sur toi, Visala.
Il s'éloigna lui aussi, me laissant seule avec Jose au milieu de la route principale de Malthura. Celui-ci passa un bras autour de mes épaules et poussa un soupire.
JOSE : Je déteste donner raison à Flux... Mais il a raison tu sais.
Il éclata de rire, laissant tomber son cigare encore éteint d'entre ses dents, et m'entraîna vers les autres, et vers le parking où la jeep nous attendait, prête à nous emmener au plus profond de la jungle d'Izzril.

A suivre...

Episode 3

Le doux parfum des pâtisseries à la cannelle disparut petit à petit, faisant place à la désagréable odeur des égouts qui régnait dans le quartier pauvre, elle-même bientôt remplacée par celle de la jungle alors que nous quittions Malthura, enivrante et menaçante à la fois. L'humidité déjà étouffante au milieu de la ville devint au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans la forêt un voile presque visible de milliards de gouttelettes, et la chaleur que j'avais trouvée si pesante même sous les ventilateurs rouillés du quartier général de Sevrilla me sembla si insignifiante comparée à la torture que nous endurions à présent que j'aurais tout donné pour retourner en prison, si la vue qui s'offrait à moi n'avait pas été si magnifique : partout autour de nous, à perte de vue, les arbres se croisaient, se chevauchaient, s'entrelaçaient dans une danse aussi envoûtante que macabre. La route, à peine aussi large que les roues de la jeep, était jonchée de feuilles, branches et lianes tombées peut-être plusieurs mois auparavant tant elle était peu empruntée. Au-dessus de nos têtes, la nature était bien vivante et bien présente, comme nous le rappelaient de temps à autres les cris stridents des singes, oiseaux ou lézards, dont nous dérangions la tranquillité par notre présence.
JOSE : Gauche, ou droite, il faudrait savoir, Flux !
FLUX : Pour la troisème fois, je ne t'ai dit que le mot "droite" depuis tout à l'heure.
JOSE : Je savais que c'était une mauvaise idée de te laisser tenir la carte.
Jose prit un virage serré à droite, manquant de nous éjecter tous les quatre du véhicule dont les ceintures de sécurité menaçaient de lâcher à tout moment.
ROXANE : Tu as insisté pendant cinq minutes pour conduire toi-même, parce que, et je cite "Flux est le seul qui sâche lire la carte, qui va tenir la carte si je laisse Flux conduire ?". Et quand Visala a proposé de tenir la carte, tu as répondu "Si tu tiens la carte, à quoi est-ce que ça sert de garder Flux?".
FLUX : Gauche.
Jose obéit, tendant au passage une main au-dessus de la jeep, arrachant un fruit qui pendait sous la plus basse branche d'un arbre et en prenant une grande bouchée.
JOSE : Et j'ai toujours pas eu de réponse à cette question.
ROXANE : Flux tient la carte.
Jose jeta un regard derrière lui, et voyant Flux assis à côté de moi sur la banquette arrière, la carte de la jungle sur les genoux, poussa un grognement.
JOSE : Ah, ouais.
ROXANE : Et je t'ai déjà dit de regarder la route quand tu cond...

Je tendis une main à Flux pour l'aider à se relever, alors que Jose avait déjà grimpé à un arbre après y avoir aperçu d'autres fruits, plus gros que celui qu'il avait laissé échapper lorsque la jeep avait percuté à toute vitesse l'une des nombreuses racines qui serpentaient jusqu'au-dessus de nos têtes, rendant le vieil arbre déjà plus grand que la plupart des immeubles de Thalion encore plus intimidant.
J'attrapai le fruit que me lançait Jose et mordis dedans, dégustant chaque goutte de son jus sucré, réalisant alors à quel point j'avais soif depuis que nous avions quitté Malthura.
FLUX : C'est ce qu'on appelle une fraise géante d'Izzril, à cause de la forme, même si ce n'est pas vraiment une fraise, bien entendu.
VISALA : C'est délicieux. Je n'en avais jamais mangé avant.
FLUX : Elles ne poussent qu'une partie de l'année, et seulement dans cette région, ce qui les rend rares et presque impossibles à commercialiser en dehors du pays.
Jose sauta du haut de l'arbre et atterrit sur ses pieds juste entre nous deux, envoyant une autre fraise géante à Flux avant de le bousculer au passage.
JOSE : Tout le monde s'en fout de comment ces fruits s'appellent, Flux, tant qu'ils sont délicieux et marrants à attraper en haut des arbres.
ROXANE : Si vous avez fini votre casse-croûte, on va peut-être pouvoir continuer, puisque Jose a au moins eu la présence d'esprit de nous planter juste en face de l'entrée du temple.
JOSE : De rien.
Il envoya un autre fruit à Roxane, puis entama l'un des trois qui lui restaient.
FLUX : Voici donc Marb Kuoz...
Je fis quelques pas vers le grand mur de pierre noire qui ne dépassait du sol que d'un mètre, ne laissant qu'une ouverture assez grande pour entrer accroupi dans le cas de certains, ou à plat ventre dans le cas de Jose.
Roxane passa devant nous et jeta sa fraise d'Izzril à moitié mangée vers la carcasse de la jeep, puis décrocha son pistolet de sa ceinture avant d'entrer d'un pas prudent dans le temple, parlant d'une voix basse par précaution.
ROXANE : Restons groupés, tant qu'on ne saura pas ce qui nous attend à l'intérieur. J'ouvre la marche, puis Flux, Visala, et Jose en dernier.
JOSE : Pourquoi Flux est devant m...
Roxane arma son pistolet et le braqua sur la tête de Jose, ce qui, à défaut de le faire taire, eût au moins le mérite de le faire grogner en silence.
Je sortis de mon sac à dos une lampe de poche que j'avais placée dedans à mon départ de Thalion et nous avançâmes lentement dans les profondeurs inaccueillantes de Marb Kuoz.

FLUX : Est-ce qu'on va au moins mentionner le fait que c'est la deuxième voiture que Jose détruit en quelques semaines seulement ?
JOSE : J'en vois pas le besoin, on est déjà  tous au courant, Flux.
FLUX : Sans compter que celle-ci nous a été prêtée par l'armée et sera retenue sur notre salaire.
JOSE : C'est ce qu'on appelle les dommage collatéraux, Flux.
FLUX : Non, en réalité, ce n'est pas du tout ce que ça veut d...
ROXANE : Silence, j'entends quelque chose.
JOSE : C'est surement Flux et ses commentaires inut...
VISALA : Je l'ai entendu aussi.
J'étais incapable de dire de quoi il s'agissait, mais ça semblait provenir du couloir vers lequel menait l'escalier que nous descendions depuis plus de quinze minutes, et dont nous ne pouvions déjà plus voir l'entrée.
ROXANE : Il y a bien quelqu'un en bas.
JOSE : Parfait, on n'est pas venus pour rien.
Il passa devant nous d'un pas décidé, malgré les protestations de Roxane qui aurait préféré garder plus longtemps l'effet de surprise sur ce qui nous attendait.
Jose se précipita vers l'origine du bruit suspect et ne nous laissa d'autre choix que de le suivre, découvrant vite que la pièce dans laquelle nous arrivions, baignée dans la faible lumière de plusieurs torches qui brûlaient d'une vive flamme rouge sang, n'était autre que le coeur de Marb Kuoz, décoré de dizaines de poteries et d'idoles dorées sur lesquelles seul un épais filet de poussière témoignait du passage du temps dans ce sanctuaire sacré qui semblait avoir tout oublié de la présence des hommes.
Il fallut à mes yeux quelques instants pour s'habituer à la lumière et distinguer les formes qui semblaient presque flotter autour des flammes, comme si la seule force qui les maintenait encore debout était celle d'un marionnettiste penché au-dessus du temple.
ROXANE : Qu'est-ce que c'est que cette merde...
FLUX : Bigot...
Je restai bouche bée, sous le choc d'une part d'avoir entendu Flux jurer pour la première fois, et d'autre part du spectacle qui s'offrait à moi, et que jamais, même en décidant de quitter ma vie Thalionnaise pour suivre Roxane et Jose, je n'aurais pensé contempler.
Plusieurs dizaines, peut-être même centaines de créatures cauchemardesques, que malgré tout ce en quoi j'avais toujours cru je ne pouvais qualifier que de morts-vivants, erraient sans but apparent dans tous les coins de la pièce, certains armés d'arcs de bois primitifs et de flèches acérées, d'autres de sabres rouillés et tâchés de sang. Tous étaient dans un état de décomposition avancé dont l'odeur me retourna l'estomac, ce que la vue de leurs visages déchiquetés ne fit rien pour arranger. Quelques uns n'avaient plus d'yeux, ou de mâchoire inférieure, d'autres avaient perdu un bras ou trébuchaient sur leurs entrailles, suspendues juste au-dessus du sol à travers le trou béant dans leur cage thoracique.
Ma main se referma malgré moi sur celle de Jose, mais à ma grande surprise, je ne ressentis aucune peur lorsque qu'il fit un pas en avant, m'entraînant avec lui.
Peut-être était-ce de la curiosité, ou peut-être l'adrénaline qui avait de plus en plus tendance depuis ma rencontre avec les Slayers à s'exprimer pour moi.
JOSE : Pecc !
Flux poussa un bref soupire et se tourna vers moi pour me donner la traduction comme à son habitude.
FLUX : Ca signifie "génial", "super"...
ROXANE : Pas le moment, Flux.
FLUX : Je voulais que Visala sache que Jose est le genre de déséquilibré qui trouve que ceci est pec...

JOSE : A L'ASSAUT !
Il plongea dans la mêlée tête baissée, son pistolet dans une main et une fraise d'Izzril dans l'autre, esquivant une volée de flèches et les sabres de la première rangée de soldats qu'il avait surpris.
Roxane nous attrapa Flux et moi chacun par un bras et nous jeta derrière ce qui ressemblait à une sorte de sarcophage, puis se jeta à son tour au milieu de l'action.
Cachés derrière notre abris de fortune, Flux et moi nous jetâmes un regard, reprenant notre souffle.
VISALA : Qu'est-ce qu'on fait ?
FLUX : Je ne sais pas, je ne pense jamais à m'armer. Roxane et Jose gèrent généralement très bien l'aspect "musclé" de nos rencontres.
Je voulus répondre mais je fus interrompue par Jose, qui tomba à nouveau juste entre nous deux, hurlant de joie, rapidement suivi par un autre nuage de flèches qui vinrent se planter dans la pierre en face de nous.
JOSE : Woohoo ! Meilleures vacances, qu'est-ce que je disais ?
Il attrapa au vol un mort-vivant qui nous avait en toute logique été envoyé par Roxane et lui arracha la tête d'un coup de poing dans un craquement écoeurant avant de lui dérober son arc et de le poser entre mes mains.
Il sembla réfléchir quelques instants, puis se souvenir de quelque chose, et récupéra les flèches dans le mur avant de les fourrer dans mon sac à dos.
JOSE : Couvre-moi !
VISALA : Quoi ?!
Mais il avait déjà sauté au-dessus du sarcophage et repris le combat.
Je lançai à Flux un regard paniqué.
VISALA : Je ne sais pas me servir de ça !
FLUX : Moi non plus !
Jose se fit entendre à quelques mètres de nous.
JOSE : Visala, plus de flèches !
Flux poussa un soupire et se redressa.
FLUX : A mon signal, d'accord ?
Je pris une grande inspiration et acquiesçai d'un hochement de tête avant d'attraper une flèche et de l'encocher aussi habilement que possible.
Flux se redressa lentement et jeta prudemment un coup d'oeil derrière nous, se montrant le moins possible.
FLUX : Maintenant !
Je me retournai d'un bon et posai un genou au sol, visant tant bien que mal dans la direction générale du champ de bataille, et laissai partir la flèche.
Elle tournoya au-dessus du tumulte comme une hélice et alla disparaître à l'autre bout de la pièce.
Je repris ma place derrière le sarcophage, un peu dépitée.
FLUX : Ce n'est pas grave, c'était ta première flèche. Tu vas t'améliorer.
Je repris mon souffle, un peu rassurée par ces encouragements, et espérant de tout coeur qu'ils étaient justifiés.
FLUX : Cette fois, essaye de tendre plus la corde, et de garder ton bras gauche bien droit.
VISALA : D'accord, je vais faire de mon mieux.
Il me fit un clin d'oeil, puis risqua un autre regard par-dessus la tombe de pierre.
FLUX : Vas-y !
Je me redressai à nouveau, et suivant les conseils de Flux, tendis les bras autant que j'en étais capable, lâchant cette fois presque plus par épuisement que par ma propre volonté.
Mais j'avais eu le temps de viser.
La flèche partit droit vers le mort-vivant le plus proche, le touchant quelque part à l'abdomen, assez fort pour lui faire perdre son équilibre et tomber contre un autre qui le décapita par accident.
Quelque part, Jose poussa un cri de joie et éclata de rire, m'arrachant un sourire alors que Flux se détendait, soulagé que notre mince effort ait au moins contribué un peu à aider Roxane et Jose.
Mais la bataille faisait toujours rage, comme nous le rappela rapidement un autre mort-vivant qui avait fait le tour de la salle et était arrivé derrière nous en silence, probablement après avoir vu l'un de ses compagnons tomber par notre faute.
Il leva le bras et mit un grand coup de sabre dans ma direction, que je ne parai de justesse que grâce à mon arc, que j'avais par réflexe brandit au-dessus de ma tête. Heureusement, ces créatures étaient aussi lentes qu'elles étaient repoussantes, et n'avaient pas beaucoup plus de force que moi. Le mort-vivant se prépara à attaquer à nouveau, mais Flux l'attaqua par derrière, le poussant violemment contre le mur et le déstabilisant assez longtemps pour m'attraper par le bras et m'entraîner vers Roxane, qui s'était à nouveau éloignée de la mêlée et la contournait en silence, prête à attaquer lorsque sa cible s'y attendrait le moins.
Mais un autre guerrier nous barra la route, nous forçant à nous séparer, et je courus me réfugier dans une alcôve à quelques mètres de moi, espérant que j'y serais assez bien cachée pour éviter d'attirer à nouveau l'attention sur moi.
Je m'accroupis et fis un pas en arrière, m'accrochant à une liane qui descendait du plafond le temps de reprendre mon souffle, et n'eus que le temps de comprendre que le sol disparaissait sous mes pieds avant de me sentir tomber encore plus bas dans les profondeurs du temple, abandonnant Jose, Roxane et Flux à leur sort.

A suivre...

Episode 4

Je terminai ma chute dans un bain d’eau glaciale dont l’odeur pestilentielle m’arracha un haut-le-coeur à la seconde où j’émergeai, me débattant pour rester à la surface malgré le poids de mes armes.
Je laissai à mes yeux quelques secondes pour s’habituer à l’obscurité et finis par apercevoir quelques marches qui semblaient mener hors de l’eau. Même s’il faisait trop sombre pour distinguer les alentours, je décidai de les monter plutôt que de rester plus longtemps au milieu de ce bassin dont j’imaginais que la puanteur n’était pas le pire aspect.
Je me hissai sur la terre ferme et me relevai lentement, reprenant mon souffle. Le sol pavé de vieilles dalles brisées m’indiquait que j’étais toujours dans le temple, quelques mètres plus bas. Je cherchai ma lampe torche mais réalisai que j'avais dû la perdre dans la bataille. Même si je n’entendais plus rien au-dessus de moi, j’entrepris d’appeler à l’aide, criant aussi fort que j’en étais capable, consciente que cette tentative resterait vaine.
VISALA : Jose ! Roxane ! Flux !
Bien sûr, je n’obtins jamais de réponse. Du moins pas de mes compagnons : une voix grinçante sortit de quelque part devant moi dans la pénombre, manquant de me faire hurler de surprise.
VOIX : Ils ne t’entendent pas.
Je sursautai et brandis mon arc, encochant rapidement une flèche et visant dans la direction générale de l’intrus.
VISALA : Qui êtes-vous ?
Je repérai enfin une mince silhouette dans le coin de la pièce, recroquevillée contre le mur et tremblant manifestement de peur.
LUI : Ne me tue pas, par pitié ! Je n’y suis pour rien !
Réalisant que je venais de terrifier une autre des victimes sans défense de ces créatures, je me détendis et accrochai mon arc à mon sac à dos avant de faire quelques pas vers mon co-détenu, lui parlant d’une voix aussi rassurante que possible.
VISALA : Pardon, j’ai juste été un peu surprise, je ne pensais pas trouver quelqu’un ici. Je m’appelle Visala. Mes amis ne doivent pas être loin, ils vont nous sortir d’ici.
N’entendant pas de réponse, et me disant que j’avais peut-être inquiété cet inconnu plus que je le pensais, je fis de mon mieux pour le mettre en confiance en ouvrant la conversation, convaincue que Jose me trouverait bientôt.
VISALA : Depuis combien de temps tu es coincé ici ?
LUI : Un mois. Deux, peut-être.
Sa voix était étouffée et semblait venir de tous les coins de la pièce à la fois, comme un écho.
VISALA : Deux mois ?! Comment as-tu pu survivre comme ça aussi longtemps ?
LUI : Je suis resté caché.
J’allais préciser ma question, mais l’homme risqua alors un regard dans ma direction, me permettant pour la première fois d’apercevoir son visage quelques secondes. Je restai bouche bée, espérant par-dessus tout que ma vue me jouait des tours mais acceptant assez vite la réalité. J’encochai une flèche.
Le mort-vivant se jeta à terre dans un nouveau gémissement de terreur.
LUI : Je t’en supplie, non ! Je ne suis pas avec eux ! Les autres, en haut ! Je ne suis pas comme eux !
VISALA : Donne-moi une bonne raison de te croire.
LUI : Je... Je peux t’aider à sortir d’ici. Je peux te montrer la sortie.
VISALA : Ou me mener à eux.
LUI : Tu es exactement où ils te veulent.
VISALA : Comment ça ?
LUI : Regarde derrière toi...
Je fis quelques pas en arrière et tournai lentement la tête, prenant soin de ne pas baisser ma garde.
Mais la flèche manqua de tomber à mes pieds lorsque je compris ce que le mort-vivant avait voulu me montrer, et que je n’avais pas remarqué en sortant de l’eau dans l’obscurité.
LUI : Tu es dans la fosse.
Dans le bassin, à quelques centimètres seulement de l’endroit où j’étais tombée, flottaient plusieurs dizaines de cadavres dont certains étaient sûrement déjà décomposés depuis plusieurs semaines. Je fis un pas en arrière, m'attendant à tout moment à les voir se lever et m'attaque comme l'avaient fait les autres auparavant. Mais l'odeur se faisait de plus en plus forte, et de plus en plus insoutenable, menaçant de me faire tourner de l'oeil.
LUI : Ils ne se réveilleront pas, si c'est ce qui t'inquiète.
VISALA : Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
LUI : Ca ne marche pas comme ça. Ils ne peuvent pas revenir seuls à la vie.
VISALA ; Comment est-ce que ça marche alors ?
LUI : C'est le prêtre qui les ranime.
Sa voix trembla de peur à cette seule idée.
Je pris appui contre le mur de pierre froide le temps de récupérer mes esprits, et faisant de mon mieux pour contrôler ma peur et mon dégoût, je risquai un regard vers la pile de cadavres. La plupart devaient être les touristes disparus dont Sevrilla nous avait parlé. Certains étaient encore plus jeunes que moi. J’imaginai la terreur sur leurs visages et leurs derniers instants, coincés dans cette prison, avec pour seule compagnie la mort et les rats.
Je pris une grande inspiration, m’efforçant d’oublier les trente dernières secondes de ma vie, et me tournai vers le mort-vivant.
VISALA : Dix minutes.
LUI : Quoi ?
VISALA : Je veux être sortie d’ici dans dix minutes. Pas une de plus.
LUI : Il y a un passage caché dans la pierre un peu plus loin. Ils l’utilisent quand ils viennent... vider la cuve. Je peux te montrer où...
VISALA : Non. Tu viens avec moi. Et si tu me mènes à eux...
Je le fusillai du regard, et les deux orbes vertes rétrécirent presque assez pour disparaître complètement l’espace d’un instant.
VISALA : ... la première flèche est pour toi.

Je mis tout mon poids contre le rocher, ne parvenant qu’à le faire bouger de quelques centimètres, à peine assez pour me faufiler à travers l’ouverture, juste après mon guide -- même si je réalisai rapidement que je le traitais plus comme un otage que comme un complice.
Le lueur d’une torche vint enfin m’apporter un peu de réconfort après ces quelques temps dans la pénombre, même si je savais que j’étais encore trop loin de l’entrée du temple pour apercevoir la lumière du jour.
Le mort-vivant pointa du doigt dans une direction et commença à avancer, n’essayant même pas de dissimuler sa peur à chaque fois que nous croisions un couloir ou entendions un bruit suspect. Il n’avait définitivement pas beaucoup en commun avec les monstres qui nous avaient attaqués plus tôt.
VISALA : Tous ces pauvres gens... Pourquoi ne les as-tu pas aidés ?
LUI : La plupart... la plupart étaient déjà morts en arrivant dans l’eau.
VISALA : Et les autres ?
LUI : J’avais peur...
Ne contrôlant plus ma colère, je me mis à hurler, faisant résonner ma voix à travers les corridors inhospitaliers du temple.
VISALA : Peur ?! TU avais peur ?
Il jeta des regards inquiets dans tous les sens, se retenant tout juste de se rouler en boule.
LUI : Pas si fort, tu vas nous faire repérer !
VISALA : Qu’est-ce que tu penses qu’ils ressentaient, toutes ces heures au fond de ce trou, dans le noir, entourés par les cadavres ?
LUI : J’ai voulu les aider, je te le promets. Chaque jour je voulais leur parler, leur dire de me suivre, mais je n’y arrivais pas. Je pensais à ce qu’ils me feraient si je leur montrais ce que j’étais...
VISALA : Pourquoi moi alors ?
LUI : Je ne sais pas.
Je laissai passer quelques secondes, mais m’impatientai vite.
VISALA : Qu’est-ce que tous ces touristes avaient de si terrifiant que je n’ai pas ?
LUI : Rien. C’est plus... quelque chose que tu as en plus. Comme si tu me ressemblais plus qu’à eux.
J’aurais dû réfléchir plus à ce qu’il avait voulu dire, mais j’étais trop perturbée pour penser clairement. Je bandai mon arc et enfonçai la pointe acérée de la flèche contre son crâne, lui arrachant une goutte de sang noirâtre et le forçant à reculer contre le mur, les mains levées entre nos visages, comme s’il cherchait à se protéger de ma vue, qui suffisait à le terrifier.
LUI : Non !
Je ne savais pas ce que je faisais. Et je ne le saurais jamais. Peut-être aurais-je tiré. Peut-être me serais-je calmée. Peut-être aurais-je eu pitié. Mais c’est ce moment que choisit un groupe de morts-vivants pour faire irruption, probablement attirés par nos hurlements.
Ils étaient une dizaine et étaient tous armés de sabres tâchés de sang séché. Ne perdant pas une seconde, ils se jetèrent dans notre direction.
Folle de rage, je me tournai vers l’un d’eux et laissai partir ma flèche, le touchant à la mâchoire et l'envoyant à terre.
Le deuxième avait déjà plongé sur moi, brandissant son arme, et je n’eus que le temps de lever mon arc au-dessus de ma tête pour me protéger.
Je reconnus le cliquetis maintenant familier et le coup de feu qui envoya le monstre voler plusieurs mètres en arrière, décapité.
Jose récupéra la tête en plein vol, m’adressant un clin d’oeil en passant devant moi à toute vitesse, et la jeta au milieu de nos agresseurs avec une telle force que l’un d’entre eux tomba en arrière, juste à temps pour éviter une deuxième balle qui en faucha un autre.
Dans un éclat de rire, le géant Meastien arracha le bras du mort-vivant qui l’attaquait à présent et s’en servit pour frapper les autres.
Je ne pus m’empêcher de sourire malgré cette nouvelle effusion de sang, soulagée de l’avoir enfin retrouvé, et pendant quelques secondes, j’oubliai même l’horreur de la fosse.
Jose mit un coup de pied dans le crâne du dernier assaillant, déjà à terre, l’envoyant voler au fond du couloir, puis se tourna vers moi et me jeta quelques flèches qu’il avait sorties de sa poche.
JOSE : Tiens, j’en ai trouvé d’autres sur la route.
Son regard croisa le mien, et devint aussitôt noir de rage. Je réalisai alors que je ne souriais plus, et que sortie du feu de l’action, j’avais laissé échapper une larme, toujours sous le choc.
Son arme se leva à nouveau et le mort-vivant qui avait jusqu'alors réussi à rester inaperçu se cacha derrière moi, poussant un gémissement de peur.
JOSE : Qu’est-ce qu’il t’a fait ?
LUI : Ne le laisse pas me tuer, s’il te plait !
JOSE : Visala. Qu’est-ce qu’il t’a fait ?
Je repris mon souffle et essuyai mon visage, faisant de mon mieux pour reprendre mes esprits.
VISALA : Rien. Il m'a aidée à m'échapper.
Je me tournai vers la créature terrifiée et la fusillai du regard.
VISALA : Et il va nous mener au responsable de tout ça.
Jose fronça les sourcils, l'air pensif, puis me sourit de toutes ses dents et passa un bras autour de mes épaules, reprenant la direction de la sortie du temple.
JOSE : Ok !

Flux et Roxane se précipitèrent vers nous, mais ralentirent en voyant arriver derrière moi le mort-vivant.
La main de Roxane se posa sur son arme.
FLUX : Visala ! Tu n’es pas blessée ?
ROXANE : Jose, qu’est-ce que c’est que cette merde ?
Jose afficha un air outré.
JOSE : Tu sais Roxane, c’est pour ça que tu as autant de mal à te faire des amis.
VISALA : Il m’a aidée à sortir. Tu peux lui faire confiance. Pour l'instant.
ROXANE : J’hésite un peu, les cinquante derniers ont essayé de me tuer. Je suis tentée de me fier aux statistiques.
Flux étouffa un ricanement, amusé par la réaction de Roxane, comme il l’avait été le matin-même avec moi lorsque nous avions rencontré Sevrilla, puis se tourna vers notre invité.
FLUX : Tu as un nom ?
Le mort-vivant montra juste sa tête, toujours caché derrière Jose et moi.
LUI : Non.
JOSE : Je l’ai appelé Flux 2.
FLUX : Evidemment...
JOSE : Hmm... Non, tu as raison. Tu seras Flux 2, et lui Flux.
LUI : Je ne suis vraiment pas sûr d’avoir besoin d’un nom...
JOSE : Evidemment que si ! Comment je vais te différencier de l’autre Flux, sinon ?
ROXANE : Ce truc est un mort-vivant programmé pour tuer, pas un chiot, Flux ! On se fout de lui trouver un nom !
JOSE : Moi je l'aime bien...

Flux se tourna vers Roxane et afficha un air triomphal.
FLUX : Mais oui ! Carl !
ROXANE : Carl ?
FLUX : Quand j’étais enfant, j’avais un chien. Il s’appelait Carl.
JOSE : Sérieusement ? C’est le nom le plus pourri que j’ai jamais entendu pour un chien. A part Flux, peut-être.
ROXANE : Pourquoi pas ?! Il s’appelle Carl ! Maintenant est-ce qu’on peut le tuer ?
Carl se cacha à nouveau, et je me surpris à me redresser pour le protéger.
Roxane me regarda dans les yeux et sembla y voir la même chose que Jose quelques minutes plus tôt. Elle soupira et baissa son arme.
VISALA : Il peut nous dire où trouver celui qui a causé tout ça.
ROXANE : Il peut rester. Mais je n'ai pas besoin de son aide. Je sais déjà où aller.

VISALA : Où ça ?
ROXANE : X'arnas.
Jose poussa un cri de joie.
JOSE : On va voir Ormus ? Génial !
Roxane serra le poing et se mit en marche.

ROXANE : Oh oui, Jose. On va voir Ormus.

A suivre...

Episode 5

X’arnas n’était pas plus qu’un campement au milieu de la jungle. Une vingtaine de petites huttes de bambou et de feuillages tout au plus, perdues dans cet océan de végétation.
Je m’efforçai de me souvenir de ce que j’avais ressenti, quelques années plus tôt, lorsque j’avais pour la première fois visité Thalion. L’émerveillement, l’impression que mes yeux ne se poseraient jamais sur plus magnifique que toute cette grandeur, toute cette vie autour de moi.
Puis il y avait eu le désert, et Dimzad. La Chute du Mort, les mines, et plus tard Meyrang. Chaque jour, aux côtés de Jose n’était qu’une tentative de surpasser les expériences de la veille.
X’arnas ne fit pas exception à cette nouvelle règle. Je restai bouche bée lorsque nous entrâmes dans le village, en oubliant même pour quelques précieux instants les horreurs de Marb Kuoz, le très lourd prix à payer pour la chance que j’avais à présent de marcher aux côtés des Slayers de Dimzad à travers les sentiers de X’arnas.
De tous les côtés, les regards nous suivaient, curieux plus qu’anxieux. Ces hommes et femmes, vêtus de simples haillons ou pagnes de feuillages et de racines, donnaient l'impression de n’avoir peur de rien. Même la présence de Carl ne provoqua aucune réaction de leur part, et je m’imaginais le chaos que notre arrivée aurait causé dans une ville comme Thalion. Tout semblait n’être plus qu’un rêve. L’air était léger malgré la chaleur humide jusqu’alors assommante qui ne nous avait laissé aucun répit depuis que nous étions descendus de l’avion. Une odeur enivrante d’encens et de fleurs sauvages avait un effet apaisant sur nous tout autant que sur les villageois. Même Roxane, à ma grande surprise, affichait un air paisible alors que nous approchions d’un pas tranquille la hutte centrale, entourée de torches et de totems menaçants, dans laquelle je supposais que nous trouverions Ormus.
Seul Carl tremblait toujours comme une feuille, jetant des regards inquiets partout autour de nous malgré l’indifférence manifeste de la population de X’arnas.
Une femme sortit de la hutte et s’arrêta devant nous, nous bloquant le passage. Elle était âgée d’une trentaine d’années et vêtue de la même manière que ses congénères, mais son regard perçant et assuré la différenciait des autres de façon flagrante. Elle posa ses mains sur ses hanches, à quelques centimètres seulement des deux dagues de cérémonie qui y étaient accrochées, et ses yeux croisèrent les miens. L’espace d’une seconde, j’eus comme l’étrange impression que je la connaissais depuis toujours. Peut-être me prenait-elle pour quelqu’un d’autre, ou peut-être avait-elle été prévenue de mon arrivée d’une façon ou d’une autre, je n’étais certaine que d’une chose : elle ne m’aimait pas. Ce n’était pas simplement la méfiance à laquelle je me serais attendue des habitants de X’arnas, à la vue de la parfaite inconnue que j’étais, armée et sans surveillance, que personne d’autre ne semblait d’ailleurs ressentir. Elle ne prêta même pas la moindre attention à mon arc, que j’aurais pourtant posé à ses pieds en gage de paix si je n’avais pas eu peur de sa réaction si elle m’avait vu poser ma main dessus. Elle ne faisait aucun effort pour cacher la haine étrange qu’elle éprouvait pour moi. Le regard noir qu’elle m’adressa n’avait rien à envier à celui que j’avais déjà vu Roxane afficher si souvent. Elle ne me détestait pas seulement, elle voulait que je le sache. Je n’avais jamais été aussi confuse.
ELLE : Qu’est-ce qu’elle fait ici ?
Roxane, comprenant que quelque chose n'allait pas, fit un pas en avant et posa une main sur mon épaule, répondant d’un ton amical dans l’espoir de détendre l’atmosphère malgré son habituel rictus qui ne dupait personne.
ROXANE : Contente de te voir aussi, Niaessia. Et ne t’inquiète pas, Visala est avec nous.
JOSE : Le cadavre aussi. Et Flux.
Niaessia n’aurait probablement pas bougé si une voix aussi douce qu’inquiétante à l’intérieur de la hutte n’avait pas à ce moment mis fin à la conversation :
ORMUS : Niaessia.
Sans me quitter du regard, elle fit un pas de côté et nous laissa passer.
Seul au milieu de la pièce, l’homme se leva de son trône de pierre et s’inclina respectueusement. Un peu plus petit que Jose, et à peu près aussi vieux que Flux, il portait ce qui ressemblait à une armure de cuir et d’ossements que j’espérais animaux ainsi que, comme Niaessia, deux longues dagues étincelantes accrochées à sa ceinture.
Si Roxane et Flux se contentèrent d’un signe de la main et d’un sobre «Salut Ormus», Jose quant à lui se précipita vers son vieil ami et le serra chaleureusement dans ses bras avant de lui mettre une grande tape amicale dans le dos malgré la froideur manifeste de l’homme, qui n’entretenait de toute évidence  pas avec Jose le rapport que celui-ci s’était imaginé. Imperturbable, il nous invita ensuite à entrer et posa brièvement les yeux sur Carl, comme s’il avait cru apercevoir une vieille connaissance mais réalisé qu’il s’agissait en fait de quelqu’un d’autre. C’est sur moi qu’il fixa son regard, me poussant à me demander très sérieusement pendant quelques secondes si je n‘étais pas déjà venue à X’arnas sans m’en souvenir. Bien que de plus en plus désarçonnée, j’étais au moins soulagée de constater que contrairement à Niaessia, Ormus ne semblait pas éprouver le moindre mépris à mon égard. Au contraire, il afficha rapidement un air bienveillant, comme s’il devinait mon malaise, même si l’intensité avec laquelle il me dévisageait n’aidait en rien à rendre la situation moins sinistre.
A nouveau, Roxane remarqua son comportement et fut la seule à prendre la parole.
ROXANE : Bon, qu’est-ce qu'il vous arrive, à tous les deux ? Déjà Niaessia, maintenant toi... C’est quoi votre problème avec elle ?
Ormus l’ignora dans un premier temps mais fit mine de la remarquer après un instant. J’aurais juré qu’il tentait de lire mes pensées, ou de me communiquer les siennes.
Il se tourna vers Roxane et repris place sur son trône avec une sérénité troublante.
ORMUS : C’est un plaisir de vous revoir tous. Que puis-je pour vous ?
Son visage ne trahissait pas la moindre émotion, et bougeait si peu, même lorsqu’il parlait, que j’en avais parfois l’impression que ses mots me parvenaient par télépathie.
Ormus avait une présence intimidante, peut-être même plus encore que Jose. Si Roxane et lui semblaient le connaître depuis assez longtemps pour ne plus laisser son aura menaçante les perturber, Flux ne semblait pas beaucoup plus à l’aise que moi face à lui, et Carl était quant à lui plus terrifié que jamais.
ROXANE : Ca, c'est Carl, apparemment. On l’a trouvé à Marb Kuoz. Tu as une explication ?
Ormus fit semblant d’observer le mort-vivant quelques secondes, mais il avait déjà préparé sa réponse depuis longtemps.
ORMUS : Un rituel de réanimation. Assez impressionnant. De toute évidence le travail d’un Prêtre de la Mort.
ROXANE : Comme toi, par exemple ?
ORMUS : Peu importe ce que tu insinues, Roxane, j’évite autant que possible ce genre de rituels. Les sujets sont trop instables et tendent trop souvent à devenir agressifs, même avec leur créateur.
ROXANE : Je ne connais personne à part toi qui soit capable de faire ce genre de chose.
ORMUS : Détrompe-toi. Je ne suis pas le seul Prêtre de la Mort dans la Jungle d'Izzril. Je ne fais, comme beaucoup d'autres, que pratiquer les mêmes arts que mes prédécesseurs avant moi.
Roxane ne cacha pas son air sceptique, poussant un soupire plus accusateur que vraiment ennuyé.
ROXANE : Une idée de qui peut être responsable de la merde qu’on a trouvée là-bas alors ?
ORMUS : Pas la moindre. Que s’est-il passé ?
ROXANE : Marb Kuoz est à quelques kilomètres d’ici seulement, tu n’es sérieusement au courant de rien ?
Ormus ne répondit pas. La tête haute, il était toujours aussi impassible, le regard rivé sur son interlocutrice.
FLUX : Plusieurs dizaines de touristes ont disparu ces dernières semaines. Nous les avons retrouvés dans le temple. Aucun survivant. Tous ont été tués par...
Ses yeux se posèrent sur Carl, qui aurait préféré rester hors de la conversation.
FLUX : Ils étaient manifestement programmés pour tuer quiconque entrerait dans le temple. Et je suis prêt à parier que certains de ces touristes ont même été capturés à l’extérieur. Seul Carl se comporte différemment. Nous espérions que tu saurais nous expliquer pourquoi.
ROXANE : J’espérais surtout que tu pourrais nous dire qui est derrière tout ça, qu’on puisse le tuer et ramener sa tête à Sevrilla, et j’aurais franchement préféré que ça ne soit pas toi.
Ormus fronça soudain les sourcils et haussa étonnamment le ton.
ORMUS : Sevrilla ?
FLUX : Général Sevrilla, chef de l’armée Malthuranne.
JOSE : Un gars sympa. Il nous a sortis de taule, Visala et moi.
Ormus poussa un soupire de déception et secoua la tête d’un air abattu.
ROXANE : Evidemment, tu le connais...
ORMUS : Je commence à comprendre. Sevrilla veut me décrédibiliser. Me faire passer pour un meurtrier.
A nouveau, Roxane restait incrédule.
ROXANE : Et pourquoi voudrait-il faire ça ?
ORMUS : Pour s’assurer la présidence.
FLUX : Qu’est-ce que tu viens faire là-dedans ?
ORMUS : Avez-vous entendu parler du parti de Jibnn ?
Comme à son habitude, Roxane se tourna vers Flux, qui répondit pour nous tous.
FLUX : Du nom de son fondateur, assassiné il y a un peu plus d’un an. Je pensais que le parti était mort avec lui.
ORMUS : Jibnn a été tué par Sevrilla et la famille Malthura, lorsque le quartier pauvre a commencé à se rallier derrière ses idées. Pour la première fois, quelqu’un voulait le bien-être du peuple, alors que l’armée et la noblesse sont prêts à se disputer à nouveau le pouvoir. Jibnn est rapidement devenu une menace. Assez pour que Sevrilla et Guivo Malthura considèrent une alliance pour lutter contre le soulèvement du peuple. Ils ont tous les deux préféré se partager la présidence, plutôt que de la céder à de simples «paysans».
ROXANE : Ce qui n’explique toujours pas ton rôle dans tout ça.
ORMUS : Jibnn est mort, mais pas son combat. Les Malthurans sont un peuple très religieux, et l’opinion des Prêtres leur importe beaucoup. Surtout les Prêtres de la Mort. Il semblerait que j’ai malgré moi pris une certaine importance dans le débat politique.
FLUX : Ca ne te ressemble pas. Tu ne t’approches jamais de la ville.
ORMUS : Exact. Mais je ne pouvais supporter de voir mon peuple souffrir pour les caprices mégalomanes de deux hommes.
ROXANE : Tu es en train de me dire que tu as pris la tête du parti de Jibnn ? Toi ?
ORMUS : On m’a placé à sa tête, plus précisément.
FLUX : Et Sevrilla aurait orchestré tout ça pour détruire le parti ?
Ormus acquiesça.
ORMUS : Ainsi, les élections peuvent se dérouler comme selon leurs plans, entre Malthura et Sevrilla.
ROXANE : Sevrilla aurait sacrifié des dizaines d’innocents, simplement pour te décrédibiliser ?
ORMUS : Je pense que son plan ne s’arrête pas là. Il espère que vous me tuerez.
ROXANE : Pourquoi ne le ferait-il pas lui-même ? De toute évidence il n’est pas à un assassinat près...
ORMUS : Sevrilla a peur de moi. Il est très superstitieux. Il n’ose pas s’approcher du village.
ROXANE : Conneries.
Ormus soupira, vaincu.
ORMUS : Lui et moi étions amis, il y a de nombreuses années, lorsque j’étais dans l’armée. Il m’a vu tuer. Je pense qu’il a peur de ce que je suis capable de lui faire.
Roxane pouffa de rire.
ROXANE : Toi, dans l’armée ?
Ormus n’affichait toujours pas la moindre émotion.
ORMUS : J’étais tortureur.
Roxane arrêta de rire.
JOSE : Pecc...
ORMUS : Je ne suis pas fier de ce que j’ai fait à l'époque. Mais cela m’a au moins protégé des hommes de Sevrilla. Jusqu’à aujourd’hui, du moins.
ROXANE : Qu’est-ce que tu comptes faire, alors ?
Ormus prit une grande inspiration.
ORMUS : Mettre fin au conflit, une bonne fois pour toutes.
ROXANE : Et on va encore pas être payés, c’est ça ?
ORMUS : Certains de mes associés sont plus riches que moi, et pourront vous payer, si vous me rendez un dernier service.
ROXANE : Laisse-moi deviner, tu veux qu’on tue Sevrilla pour toi ?
ORMUS : Non. Je veux que vous me capturiez et m’emmeniez à lui.
FLUX : Tu veux qu’on te capture ?
ORMUS : S’il pense que je suis hors d’état de nuire, il acceptera peut-être de m’écouter. C’est tout ce que je veux. Lui parler.
Roxane et Flux se lancèrent un regard perplexe. Quelques secondes plus tard, la décision était prise.
ROXANE : J’espère vraiment que ça va pas encore nous retomber sur la gueule...
Ormus se leva et s’inclina à nouveau pour nous remercier.
ROXANE : On prend la route demain à l’aube. Sois prêt.
Elle sortit de la hutte d’un pas décidé, suivie de près par Flux et Jose. Une fois à l’extérieur, cependant, Carl tira timidement sur ma manche pour m’attirer à l’écart. Il regarda partout autour de nous, comme s’il s’attendait à ce que nous soyons espionnés, puis posa deux mains squelettiques sur mon oreille pour m’y murmurer quelque chose.
CARL : Il ment.
Je fronçai les sourcils.
VISALA : Qu’est-ce que tu veux dire ?
CARL : C'est un autre prêtre qui a ranimé tous les morts de Marb Kuoz. A part moi. Je me souviens de son visage. C'était lui. Ormus.

A suivre...

Episode 6

L’odeur de la fosse et la vision des cadavres en putréfaction ne me lâchaient pas. Je me cachai les yeux dans l’espoir d’oublier la pile mais lorsque je risquai à nouveau un regard prudent dans la direction du bassin, l’un des morts était debout, à quelques centimètres de moi, me dévisageant avec effroi. Je voulus hurler de peur mais il fut plus rapide : laissant échapper plusieurs larmes de sang, il poussa un cri de détresse, hypnotisé par ma vue terrifiante. Faisant de mon mieux pour ne pas céder moi aussi à la panique, je voulus lui poser une main sur l’épaule pour le réconforter mais il tomba en poussière avec un dernier soupire à l’instant où je le touchai, me faisant reculer de surprise.
Je voulus m’enfuir mais tombai nez à nez avec Ormus en me tournant. Celui-ci me dévisageait comme il l’avait fait auparavant. Ses yeux noirs devinrent rouge sang et lui aussi tomba en poussière devant moi, m’arrachant un autre gémissement d’effroi qui me réveilla en sursaut.
J’étais en sueur, malgré la brise fraîche qui traversait heureusement pendant la nuit les marécages dans lesquels X’arnas avait été construit.
Je me levai sans faire de bruit, soucieuse de ne pas réveiller les autres, qui ne dormaient qu’à quelques mètres de moi dans la petite hutte qu’Ormus nous avait invités à occuper.
Je sortis sur la pointe des pieds, jetant un dernier regard à Roxane, qui n’avait pas bougé même si je la connaissais maintenant assez pour savoir qu’elle m’avait entendue malgré l’effort que j’avais mis dans ma discrétion.

Je fis quelques pas sur le sentier boueux qui serpentait à travers le village sous la lueur de la pleine lune qui rendait presque inutiles les torches accrochées devant chaque cabane.
Je jetai un regard partout autour de moi et aperçus Ormus, debout devant la hutte centrale, les mains dans le dos, les yeux rivés droit devant lui dans la direction de la jungle hostile.
Sans trop savoir pourquoi, je me dirigeai vers lui. Quelque chose chez lui me fascinait. Mais contrairement à ce que j’avais ressenti la première fois que j’avais rencontré Jose, cette fascination me paraissait morbide. Une voix dans me tête tentait en vain de me retenir, de m’éloigner autant que possible de lui.
Et plus cette voix me poussait dans la direction opposée, plus je voulais lui parler, lui demander pourquoi.
Il le savait, j’en étais convaincue.
Il resta immobile alors que je m’approchais de lui plus par réflexe que par volonté et s’adressa à moi d’une voix à nouveau aussi douce et rassurante qu’imposante.
ORMUS : Marayad’Nir.
VISALA : Pardon ?
ORMUS : Marayad’Nir. «Enfant de l’Empire».
Il se tourna vers moi et plongea son regard dans le mien.
ORMUS : Tu voulais me parler.
VISALA : Je ne sais pas...
Je ne m’étais jamais sentie aussi confuse. Je m’assis sur les marches de la hutte et contemplai comme lui la jungle qui se cachait dans l’obscurité, protégeant de notre regard toutes les merveilles et les horreurs qu’elle avait à offrir.
ORMUS : C’est magnifique, n’est-ce pas ?
Je ne répondis rien mais laissai échapper un soupire de soulagement alors que les épreuves de la journée s’effaçaient dans la pénombre rassurante qui nous entourait.
ORMUS : Tu as le droit d’avoir peur.
VISALA : Peur de quoi ?
ORMUS : Marb Kuoz. 
VISALA : Je ne crois pas aux esprits. Je suis certaine qu’il y a une explication très logique à tout ça.
Pour toute réponse, Ormus sortit de sous son bracelet de cuir une petite fleur grise et l’écrasa entre ses mains, faisant apparaître sous les pétales une petite graine qu’il coupa en deux avec sa dague. Un liquide noir s’en échappa et coula à ses pieds. Quelques secondes plus tard seulement, plusieurs dizaines de fourmis rouges sortirent de sous la terre, attirées par l’étrange substance dont elles se gorgèrent immédiatement.
Je voulus m’approcher pour mieux les voir mais Ormus me retint d’une main.
ORMUS : Pas trop près.
Intriguée, j’observai la scène et restai muette lorsque les insectes escaladèrent la torche qui nous éclairait et se jetèrent chacun leur tour au milieu des flammes.
ORMUS : Les arts de la Mort sont aussi simples que cela. Il suffit de connaître la jungle et de savoir ce qu’elle a à offrir.
Il enterra profondément la petite flaque de poison et répondit d’un ton doux à la question que je ne lui avais pas encore posée :
ORMUS : X’inia. «La rose de la Mort». Elles poussent sous les racines de certains arbres. N’y touche jamais.
Il laissa passer quelques instants et changea de sujet.
ORMUS : Il t’a parlé.
VISALA : Qui ?
ORMUS : Il t’a dit que je l’avais créé. Pourquoi ne pas l’avoir confié aux autres ?
VISALA : Je n’étais pas encore sûre de ce que j’en pensais.
ORMUS : Et maintenant ?
Je restai pensive, perdue.
ORMUS : Pose-moi tes questions. J’y répondrai.
VISALA : Pourquoi n’est-il pas comme les autres ?
ORMUS : Il est le seul que j’ai moi-même créé. Quiconque est à l’origine de la malédiction de Marb Kuoz ne maîtrise pas encore les arts de la Mort. Pas assez pour garder le contrôle sur ses créations.
VISALA : Il était terrorisé. Encore plus que moi.
ORMUS : Il est trop humain. Une erreur de ma part. Ce n'est pas une pratique courante.
VISALA : Qui est à l’origine des autres alors ?
ORMUS : De toute évidence un allié de Sevrilla. C’est ce que j’essayais de découvrir en l’envoyant dans le temple. Il me servait d'espion, en quelque sorte.
VISALA : C’est comme ça que tu as appris qu’il m’avait parlé.
ORMUS : Ne lui en veux pas. Je suis son créateur, il est contraint de m'obéir. Il n'en avait aucune envie, mais il est programmé ainsi.
VISALA : Et dans le temple ?
ORMUS : Je savais tout.
VISALA : Il m’a dit que...
ORMUS : Que tu lui ressemblais.
VISALA : Et j’ai vu la façon dont Niaessia et toi me regardez. Je ne comprends pas.
ORMUS : X’uq alumbia. «Tu danses avec la Mort».
Je restai silencieuse, attendant une explication.
ORMUS : C’est un dicton Malthuran. 
VISALA : Qu’est-ce que ça signifie ?
ORMUS : Tu es comme lui. Tu ne devrais pas être en vie. Mais la Mort ne peut pas te prendre. Tu es entre les deux mondes.
J’étais de plus en plus perturbée par cette conversation.
VISALA : Pourquoi ne devrais-je pas être en vie ? Est-ce que c’est à cause de ce qui m’est arrivé dans le temple ?
ORMUS : La Mort a quitté Marb Kuoz depuis longtemps. Mais elle sera toujours avec toi. Elle l’a toujours été.
VISALA : Même si je te croyais... Même si je comprenais un mot de ce que tu me dis... Pourquoi moi ?
ORMUS : Tout sera clair tôt ou tard. Pour toi et moi. Sois patiente.
VISALA : Peu importe ce que Niaessia et toi pensez savoir à mon sujet, vous vous trompez !
ORMUS : Niaessia ne sait pas. Mais elle l'a ressenti en te voyant. Elle a peur. Ne lui en veux pas. Elle comprendra un jour.

Je laissai tomber mon visage entre mes mains, épuisée et au bord des larmes.
VISALA : Pourquoi est-ce que tout le monde a peur de moi ?! Je n’ai jamais fait de mal à personne !
ORMUS : La destruction est en toi.
VISALA : Je suis juste une étudiante, comme des centaines d’autres à Thalion ! 
ORMUS : Pourquoi as-tu suivi Jose ?
VISALA : Je...
Je réalisai alors que je n’avais aucune réponse à cette question. Tout m’avait semblé si naturel depuis que je l’avais rencontré, partir avec lui m’avait paru plus une évidence qu’une décision.
ORMUS : Tu as suivi le chaos, car il est le reflet de la destruction.
Je le fusillai du regard.
VISALA : Ce n’est pas ce que je suis.
ORMUS : Qu’aurais-tu fait à ces deux soldats, si Jose n’avait pas été là ?
VISALA : Rien du tout !
ORMUS : Le feu brillait dans ton regard.
VISALA : Comment peux-tu savoir ça ?!
Ormus resta silencieux quelques instants avant de répondre pour me laisser le temps de me calmer, et je réalisai que je risquais de réveiller tout X’arnas si je continuais de crier ainsi.
ORMUS : J’ai encore de nombreux alliés à Malthura. Vous étiez observés depuis votre descente de l'avion.
VISALA : Tu savais que nous allions venir ici ?
ORMUS : C’est moi qui ai arrangé votre arrivée.
VISALA : Pourquoi ?
ORMUS : Parce que je vous utilise pour neutraliser Sevrilla.
Je restai bouche bée, moins en colère que déstabilisée par son honnêteté.
VISALA : Pourquoi me l’admettre ?
ORMUS : Tu as confiance en Jose.
VISALA: Plus qu’en qui que ce soit d’autre au monde.
ORMUS : J’ai confiance en toi.
VISALA : Tu n’as aucune raison de me faire confiance.
ORMUS : Je ne veux que le bien de mon peuple. La fin de sa persécution injuste. Je ne m’arrêterai devant rien pour le protéger. Tu es comme moi.
VISALA : Tu vas tuer Sevrilla.
ORMUS : C’est nécessaire.
Il baissa les yeux pour la première fois et je vis la douleur que cette idée lui provoquait.
VISALA : Je ne suis pas comme toi.
ORMUS : Mais tu le laisseras mourir.
Je lui lançai à nouveau un regard noir et repris la direction de ma hutte.
Il m’adressa quelques derniers mots avant de me voir disparaître dans la nuit.
ORMUS : X’uq alumbia, Marayad’nir.

A suivre...

Episode 7

J’entrai dans la hutte sur la pointe des pieds, sans le moindre bruit, mais comme je m’y attendais, Roxane était déjà réveillée depuis longtemps. Elle était assise sur sa couchette, adossée au mur, les mains derrière la tête, affichant un air serein qui m’inquiétait bien plus que le regard noir auquel je m’étais attendue. Elle m’observa un instant, comme si je n’étais même pas consciente de sa présence, mais ne prononça pas un mot.
M’avait-elle suivie ? Avait-elle entendu ma conversation avec Ormus ?
Devais-je lui admettre la vérité ?
Le choix me torturait. Ma gorge brûlait d’envie de tout lui avouer, mais quelque chose m’en empêchait. Lui mentir me semblait aussi inacceptable que futile : qu’avait-elle déjà été capable de lire sur mon visage durant les quelques secondes qui venaient de passer depuis que j’étais revenue ? Mais je sentais à la fois le besoin de faire confiance à Ormus. Je songeai à toutes les conséquences : la réaction de Roxane lorsqu’elle l’apprendrait, l’imminence du meurtre dont je m’apprêtais à devenir complice, mais aussi le futur de Malthura si Ormus disait la vérité. La fin du calvaire injuste d’un peuple détruit par la guerre civile. Tout ne dépendait que de moi.
J’ouvris la bouche, sans savoir encore ce que je comptais dire, mais Roxane me fit signe de rester silencieuse, pointant du doigt dans la direction de Flux et Jose, qui dormaient à poings fermés. Puis après un dernier, long regard perçant, elle me quitta des yeux et se rallongea tranquillement, ne me laissant d’autre choix que de retourner moi-même me coucher.
Je ne dormirais plus cette nuit.

Roxane réveilla Flux et Jose à l’aube, mais ne m’adressa pas une seule fois la parole.
Lorsque nous sortîmes de la hutte, une autre jeep nous attendait à l’entrée du village.
Ormus était devant, faisant ses adieux à Niaessia, qui semblait plus en colère que réellement triste. Je ne comprenais pas ce qu’ils disaient, mais elle tournait de temps en temps son regard plein de haine dans ma direction, jusqu’à ce qu’Ormus la force d’une main à m’ignorer et l’embrasse brièvement avant de monter à l’avant de la voiture militaire.
Je m’installai à mon tour sur la banquette arrière dans un silence désagréable, accompagnée de Jose et de Flux, et Roxane démarra enfin.
Jose fit un grand signe de la main à Niaessia et aux quelques villageois qui nous observaient calmement, mais n’obtint aucune réponse.
FLUX : Je suis surpris que tu sois parvenu à trouver un véhicule aussi rapidement, Ormus.
ORMUS : Comme je vous le disais, j’ai encore quelques précieux alliés à Malthura.
ROXANE : Dans l’armée ?
ORMUS : Heureusement, tous ne suivent pas aveuglément Sevrilla.
Toujours aussi perplexe, la jeune femme décida de changer de sujet.
ROXANE : Nous ne serons pas en ville avant au moins une heure. Si tu en profitais pour nous raconter comment tu as rencontré Sevrilla ?
ORMUS : Vous le savez déjà. Pendant la guerre. Nous étions tous les deux soldats.
ROXANE : Vous étiez proches.
ORMUS : Oui. Nous étions amis.
ROXANE : Et maintenant il cherche à te faire tuer ? Il y a plus qu’une simple histoire de politique.
ORMUS : Les élections sont la raison principale de ce conflit.
ROXANE : Il ne changera pas d’avis. Et je te connais assez pour savoir que toi non plus. Alors je pense que c’est de l’autre raison que tu comptes lui parler.
ORMUS : Oui.
ROXANE : Si tu veux notre aide, je veux en savoir plus.
ORMUS : J’ai l’intention de réparer une erreur que j’ai commise il y a maintenant près de trente ans. Je vais lui dire que je suis désolé.
Sa peine était visible. Roxane laissa passer quelques secondes avant de poursuivre.
ROXANE : Que s’est-il passé ?
ORMUS : Sevrilla avait un frère. Il est mort dans nos bras, sur le champ de bataille.
ROXANE : Tu y étais pour quelque chose ?
ORMUS : Non. Mais la mort de Firelio nous a touchés différemment. Sevrilla s’est noyé dans sa rage, et a juré de venger la mort de son frère. La guerre était tout ce qui lui restait. Une cause, sans laquelle sa seule famille lui avait été enlevée pour rien.
ROXANE : Et toi ?
ORMUS : Firelio n'avait que dix-sept ans. Et il a donné sa vie pour un combat qui n'était pas le sien, mais celui d'un général et d'un héritier. J'ai ouvert les yeux à ce moment, j'ai ressenti la futilité de cette guerre. Le chaos sans but, qui déshonorait la noblesse de la Mort. J'ai déserté. J'ai quitté Malthura et me suis réfugié dans la jungle. Je me suis rapproché des arts anciens et ai appris à vivre loin de ce conflit qui avait tant pris à mon peuple. Jusqu'à aujourd'hui.

Roxane restait impassible. Elle lui lança un regard accusateur.
ROXANE : Tu as abandonné ton ami.
ORMUS : Au moment où il avait le plus besoin de moi.
Un nouveau silence pesant s’imposa quelques instants, finalement brisé par Ormus.
ORMUS : Il sait ce que je fais. Les esprits, les arts de la Mort... Mais je n’ai pas ranimé les défunts de Marb Kuoz. Je pense qu’il s’agissait de lui, ou du moins d’un de ses alliés.
ROXANE : Je croyais qu’il était trop superstitieux pour s’approcher du temple.
FLUX : Il avait l’air effrayé lorsqu’il nous en a parlé.
ORMUS : Non. C’est de moi qu’il a peur. Il craint que je m’en prenne à son frère.
ROXANE : Tu le ferais ?
ORMUS : Jamais. Et c’est ce que j’ai l’intention de lui faire comprendre.

Nous arrivâmes devant le vieux complexe militaire après une heure interminable de route dans le silence inconfortable qui avait suivi notre conversation.
Les deux soldats qui surveillaient l’entrée du fort affichèrent un air suspicieux en apercevant Roxane au volant, et malgré leur peur apparente levèrent simultanément leurs fusils lorsque leur regard se posa sur Ormus, assis à côté d’elle.
Roxane arrêta tranquillement la voiture devant eux et baissa juste assez ses lunettes de soleil pour les regarder dans les yeux.
ROXANE : Du calme, les filles, on vient voir Sevrilla. Il nous attend.
L’un des gardes murmura quelque chose dans son oreillette sans pour autant perdre Ormus de vue. Quelques secondes passèrent, et une voix, que je reconnus comme étant celle de Sevrilla, répondit finalement un unique mot. Peu importe ce que les deux hommes s’étaient raconté, l’autre garde leva à contre-coeur la barrière, nous laissant entrer.
ROXANE : J’espère que tu sais ce que tu fais, Ormus.
La tête haute, le regard droit devant lui, il ne répondit rien.
Quelques gouttes de sueur coulèrent le long de ma tempe.

L’ancienne forteresse de pierre, qui avait certainement occupé une place importante dans l’histoire de Malthura à une époque, était maintenant en grande partie recouverte de mousse et de branches sauvages qui ne rendaient l’endroit que plus inhospitalier. De tous les côtés, des groupes de militaires vaquaient à leurs devoirs, certains s’entraînant, d’autres réparant des chars ou hélicoptères, tous tournant un oeil méfiant à notre passage.
J’étais de moins en moins à l’aise avec la situation : si les choses dégénéraient, comme je le craignais, même Jose et Roxane ne nous sortiraient pas de Malthura vivants.
Plus que jamais, je doutais de ma décision de cacher le plan d’Ormus à Roxane, mais à nouveau, une voix dans ma tête m’empêchait de le trahir.
Ses mots résonnèrent dans ma tête : «tu le laisseras mourir». Le moment approchait, et je n’avais encore rien fait pour l’en empêcher.
La jeep s’arrêta une dernière fois en face d’un plus petit bâtiment dont sortirent immédiatement plusieurs gardes armés, bientôt accompagnés d’une dizaine d’autres qui arrivèrent de derrière nous. Tous nous mirent en joue, nous forçant à nous agenouiller avec nos mains sur la tête.
Un homme sortit alors à son tour du bâtiment, mais ce n’était pas Sevrilla. Agé d’une trentaine d’années, rasé de près et vêtu d’un uniforme impeccable recouvert de nombreuses médailles, il s’immobilisa devant nous, le dos droit et le regard sévère.
Roxane resta étrangement bouche bée en le voyant arriver, m'indiquant qu'elle le reconnaissait, et laissa échapper à voix basse un «bigot» qui ne faisait rien pour me rassurer.
L'air impassible de l'homme lui donnait presque un air de ressemblance avec Ormus. Il nous dévisagea longuement, et à nouveau plus particulièrement moi, ce que Roxane ne manqua pas de remarquer.
Toujours sans le moindre mot, il se contenta de faire demi-tour et de retourner à l’intérieur, pour revenir quelques instants plus tard, cette fois accompagné de Sevrilla.
Le Général semblait bien moins cordial que lors de notre première rencontre. Furieux, il avançait vers nous d’un pas décidé.
SEVRILLA : Vous êtes fous ! Amener cet homme ici ! Savez-vous de quoi il est capable ?!
ORMUS : Septio...
SEVRILLA : Silence !
ORMUS : Je veux juste te parler. S’il te plaît. Accorde-moi cela. Puis je disparaîtrai et tu ne me reverras jamais.
SEVRILLA : Serpent ! Tes mots ne valent rien !
ROXANE : Si je peux me permettre d’en placer une messieurs...
Tous les regards se tournèrent vers la jeune femme, ce qui ne sembla pas lui plaire tant que ça.
ROXANE : Vous nous avez demandé de trouver le coupable des disparitions de Marb Kuoz...
JOSE : Et au passage, c’étaient bien des morts-vivants, donc, autant pour nous.
Roxane afficha un air blasé mais poursuivit rapidement, de peur de perdre l’attention de Sevrilla et de son second.
ROXANE : Nous vous avons ramené un suspect, rien de plus. Ormus nie avoir quoi que ce soit à voir avec ce que nous y avons trouvé.
C’était le moment ou jamais. Ma chance de dire la vérité ou de garder le secret d’Ormus jusqu’au bout. Mon coeur battait si fort que je pouvais presque l’entendre malgré ma respiration incontrôlable.
C’est alors que je l’aperçus, quelques mètres à droite de Sevrilla.
L’un des soldats que j’avais vus frapper cette pauvre femme dans la rue la veille.
Je serrai les dents en repensant à la scène et le fusillai du regard. Il sembla lui aussi me reconnaître, et ne pas apprécier de me revoir. Je me retins tout juste de rire aux éclats lorsqu’il remarqua Jose et manqua de hurler de peur.
Ormus avait raison. J’allais laisser mourir Sevrilla.
SEVRILLA : Peu importe ce que ce sauvage vous a dit. Ces crimes empestent de sa présence ! Je me doutais depuis le début qu’il était lié à cette horreur !
ORMUS : Qurmia, Septio...
Les yeux de Sevrilla s’emplirent soudain de larmes, mais sa colère ne fit que grandir.
SEVRILLA : Non, Ormus ! Je veux que tout le monde l’entende ! Vas-y ! Demande-moi pardon, à voix haute, devant eux ! Ou as-tu peur de leur avouer ce que tu as fait ?!
Le visage rouge, Sevrilla hurlait de toutes ses forces sous le regard imperturbable de son second.
Ormus baissa les yeux et se leva lentement, alors que Sevrilla s’approchait dangereusement de lui, son arme à la main.
ORMUS : Je suis désolé, Septio. Je n’ai jamais oublié ce jour.
Sevrilla enfonça le canon de son revolver entre les deux yeux d’Ormus.
Jose fronça les sourcils alors que Roxane observait partout autour de nous, m’indiquant qu’elle s’apprêtait à agir, ce qui ne me disait rien de bon et ne m’aidait en rien à arrêter de trembler comme une feuille.
Plusieurs larmes roulèrent sur les joues de Sevrilla alors que son doigt se resserrait lentement sur la détente.
SEVRILLA : Tu l’as regardé mourir !
ORMUS : J’aurais donné ma vie pour lui si je l’avais pu, Septio.
SEVRILLA : Tu m’as abandonné !
Ormus ferma les yeux et pris une grande inspiration.
ORMUS : Pardonne-moi, mon ami...
Ignorant l’arme qui pouvait le tuer à tout instant, il serra Sevrilla dans ses bras et lui murmura quelque chose à l’oreille.
Sevrilla tomba à genoux, sanglotant, et laissa Ormus s’éloigner sous les regards confus des soldats, que le jeune officier empêcha à nouveau de tirer d’un geste calme.
Sevrilla continua de pleurer quelques instants, et je ne pus alors que ressentir de la pitié pour lui malgré la haine qu’il m’inspirait.
Soudain, contre toute attente, il leva son arme et la posa contre sa propre tempe, ne laissant même pas à son second le temps d’agir.
Je ne pus retenir un cri de surprise alors que le coup de feu partait, résonnant dans la cour et aspergeant les soldats qui s’étaient précipités dans sa direction de quelques gouttes des sang.
Le Général tomba à leurs pieds en silence, nous laissant tous bouche bée, à l’exception d’Ormus qui, à défaut de paraître surpris, détourna le regard en passant devant moi pour m’empêcher de remarquer la tristesse dans ses yeux alors qu'il rangeait sous l'un de ses épais bracelets une petite fleur grise.
X'inia.

A suivre...

Episode 8

Bien que rapide, le trajet du fort à l’aéroport sembla durer une éternité : la présence du soldat qui conduisait la jeep nous empêchait de poser les questions qui nous brûlaient les lèvres et promettaient de lever le voile sur ce qui venait de nous arriver, et je craignais d’ailleurs que celles de Roxane ne s’adressent pas qu’à Ormus.
Arrivés sur le tarmac, le jeune colonel ordonna au chauffeur de s’arrêter à quelques centaines de mètres du petit jet militaire qui nous attendait déjà, et nous descendîmes de la voiture pour terminer notre chemin à pieds.
Roxane attendit que nous soyons à une distance raisonnable de la jeep avant de céder à l’impatience, laissant échapper sa première question comme le sifflement d’un serpent entre ses dents :
ROXANE : Qu’est-ce que c’était que cette merde Ormus ?!
Le ton de la jeune femme ne fit que monter lorsqu'elle aborda le sujet du second de Sevrilla, qui aurait certainement préféré être oublié.
ROXANE : Et depuis quand est-ce que ton apprenti est dans l’armée ? Et Colonel, en plus ?!
Je manquai de bondir de surprise en entendant ces mots, tout comme Flux qui claqua des doigts d'un air triomphant.
FLUX : Mais oui, bien sûr ! Oktar ! J'étais certain d'avoir déjà vu ce visage. Tu étais si jeune lors de notre dernière visite...
JOSE : Ouais, où comme moi t'avais rien capté mais tu veux pas l'admettre.

Ormus se tourna vers Flux et moi, répondant à nos évidentes interrogations :
ORMUS : Oktar a toujours été avant tout comme un fils pour moi. X’arnas est une famille. Nous nous battons tous, jour après jour pour assurer un avenir plus juste au peuple de Malthura.
ROXANE : Oh, et je suppose que nous utiliser pour t’approcher de Sevrilla faisait partie de cette bataille ? Et que cet avenir plus juste passait par son assassinat ? Peut-être que quelques soldats un peu lents à la détente n’y ont vu que du feu, mais je ne suis pas née de la dernière pluie Ormus, je sais reconnaître les effets de la Rose de la Mort !
Ormus décida d’ignorer Roxane et de poursuivre ses explications. La jeune femme n’insista même pas, consciente qu’il répondrait tôt ou tard à ses interrogations et le connaissant depuis assez longtemps pour savoir que ses efforts seraient en vain.
ORMUS : Oktar avait de loin le rôle le plus difficile : il était le seul en qui je puisse avoir assez confiance et que Sevrilla et ses hommes ne connaissaient pas déjà. Il a du rejoindre l’armée et gagner la confiance de Sevrilla en montrant la même volonté de me détruire. Conseil après conseil, il est lentement arrivé à la place de second de l’armée.
ROXANE : Laisse-moi deviner : Marb Kuoz n’était pas l’idée de Sevrilla.
ORMUS : Mais il l’a adorée.
La vérité me frappa, si brutalement que j’en perdis presque l’équilibre.
VISALA : C’était toi...
Ormus soutint mon regard mais la douleur était aussi apparente dans ses yeux qu’elle devait l’être dans les miens. Je sentis la colère monter en moi et je luttai contre l’envie de me jeter sur lui et de le frapper de toutes mes forces, lorsque je réalisai qu’il ne ressentait aucun remords malgré tous les innocents qu’il avait attirés droit dans un piège et laissés hurler de terreur à quelques kilomètres seulement de son village alors que ces créatures les massacraient.
La seule et unique raison de la peine qu’il éprouvait était la haine manifeste qu’il m’inspirait à présent.
Et la confusion ne fit qu’empirer mon humeur, car je ne comprenais toujours pas : pourquoi moi ? Qu’avais-je de si spécial, pour que mon opinion lui importe tellement plus que la vie de dizaines de personnes ?
Remarquant la tension évidente entre nous, Roxane intervint, espérant nous faire oublier temporairement notre querelle personnelle dont elle ne savait toujours rien :
ROXANE : Tu avais appris à Oktar ? Faire revivre les morts ?
ORMUS : Il en est capable depuis son plus jeune âge. 
Pour la première fois, Oktar prit brièvement la parole avant de replonger dans l’ombre et le silence qui semblaient le suivre en permanence :
OKTAR : Un art que je n’ai jamais maîtrisé aussi bien qu’Ormus. C'est la raison pour laquelle ils vous ont attaqués dans le temple. Une erreur de ma part, pour laquelle je vous présente mes excuses.
Son lourd accent Malthuran m’empêchait de déterminer s’il était bien sincère ou non, mais son visage ne trahissait pas la moindre émotion.
JOSE : Pas grave.
ORMUS : Dès demain, Oktar retrouvera dans les effets personnels de Sevrilla des notes détaillant les arts de la Mort et l’appel des esprits. Son suicide sera officiellement expliqué par le remords qu’il éprouvait suite à la mort de ces personnes. Après avoir exploré le temple, vous m’avez prévenu de ce que vous y avez découvert, ce qui expliquera notre présence dans le fort aujourd’hui.
A nouveau, Ormus plongea son regard dans le mien et sembla ne plus s’adresser qu’à moi l’espace d’un instant, oubliant jusqu’à l’existence de tous les autres :
ORMUS : Des morts que j’aurais préféré éviter, mais qui étaient nécessaires. Quelques dizaines de sacrifices, qui sauveront plusieurs milliers d’innocents d’une nouvelle guerre civile.
Ormus avait gagné. Je fermai les yeux, n’ayant même plus la force de voir son visage.
ROXANE : Je ne sais pas ce qui me retient de te casser les jambes tout de suite, Ormus.
ORMUS : Je suis navré d’avoir dû vous mêler à tout cela. Mais je vous avais promis une récompense, aussi mince soit-elle comparée à ce que vous avez fait pour Malthura.
ROXANE : Tu n'as même pas d’argent, comment veux-tu nous payer ?
Comme pour répondre à sa question, Niaessia descendit de l’avion devant lequel nous étions arrivés, et tendit à Roxane une mallette qu'elle ouvrit rapidement affichant un air suspicieux en découvrant la somme qu'elle contenait.
ROXANE : Ormus, qu’est-ce que tu as fait ?
ORMUS : Niaessia est la clé de tout notre plan. Elle l’a toujours été. C’est elle qui est venue me trouver, il y a de nombreuses années. Elle n’était encore qu’une enfant. Elle fuyait sa famille. Elle aussi voulait voir la fin de la guerre. Et il nous a fallu plusieurs décennies pour enfin mettre un terme au règne de Sevrilla et de la famille Malthura.
FLUX : Sevrilla est peut-être sorti du tableau, mais les Malthura n’abandonneront jamais, et la majorité du peuple les soutiendra toujours.
ORMUS : C’est pourquoi leur dernière fille refera surface après toutes ces années, et sera élue première présidente de Malthura, avec l’appui du nouveau chef de l’armée, et celui du parti de Jibnn.
Adressant à Ormus une dernière grimâce de dégoût Roxane monta dans l’avion et jeta la mallette sur l’un des sièges.
ROXANE : Te donnant les pleins pouvoirs.
Elle marqua une pause.
ROXANE : J’espère pour toi que tout ça ne nous retombera pas sur la gueule, Ormus. Ou je saurai où te trouver.
Se tournant vers Jose, Flux et moi, elle nous fit signe de la suivre.
ROXANE : Cassons-nous d’ici.
ORMUS : Avant que vous partiez, j’aimerais échanger quelques mots avec Visala. En privé.
Le teint de Roxane vira au rouge alors qu’elle ouvrait la bouche, probablement prête à enrichir considérablement mon répertoire d’argot Meastien, mais je l’interrompis d’un signe de la tête.
VISALA : Ca va aller, Roxane. Je vous rejoins vite.
La jeune femme acquiesça à contre-coeur et disparut à l’intérieur du jet, accompagnée de Flux et Jose. Niaessia m’adressa un dernier regard noir avant de s’éloigner à son tour, suivie de près par Oktar.
J’attendis qu’Ormus prenne la parole mais restai dos à lui, refusant toujours de voir son visage.
ORMUS : Je suis désolé, Marayad’Nir.
VISALA : Que vas-tu faire de Carl ?
ORMUS : Il restera avec moi à X’arnas. C’est le seul endroit où il sera accepté. Il sera traité correctement, tu en as ma parole.
VISALA : Que vaut ta parole ?
Ignorant comme à son habitude ma provocation, il poursuivit :
ORMUS : Ceux de Marb Kuoz seront détruits, ils sont trop dangereux.
VISALA : Je sais, j’y étais.
Quelques longues secondes passèrent, et l’impatience finit par reprendre le contrôle de mes paroles :
VISALA : Hier soir, à X’arnas tu as dit...
ORMUS : X’uq alumbia.
VISALA : Je danse avec la Mort.
ORMUS : Tu comprendras un jour. Et moi aussi.
VISALA : Et Niaessia ? Elle a l’air d’en savoir bien plus que nous. Elle me déteste.
ORMUS : Tu es ma K’dahv.
Je poussai un soupire de désespoir, confuse d’avance.
VISALA : Ta K’dahv ?
ORMUS : Il n’existe aucune traduction. Cela signifie que c’est toi qui mettra fin à mes jours.
Manquant à nouveau de perdre l’équilibre, je me tournai d’un bond, à mi-chemin entre la stupéfaction et la rage.
VISALA : Quoi ?!
ORMUS : Niaessia est une prêtresse du Destin. Elle l’a ressenti dès ton arrivée. Elle ne sait pas quand, ni comment, ni pourquoi, mais un jour, tu me tueras. Peut-être vas-tu céder à la folie et m’attaquer de sang-froid. Ou peut-être ne feras-tu que te défendre.
Je crachai ma réponse entre mes dents, ne croyant toujours pas ce que je venais d’entendre.
VISALA : Niaessia se trompe. Tu te trompes. Parce que je ne remettrai jamais les pieds ici. J’ai vu de quoi tu étais capable, Ormus, et je ne veux plus jamais y être liée. Vous êtes tous dangereux, peu importe tout le bien que vous voulez à Malthura.
Sans un mot de plus je fis demi-tour et marchai d’un pas furieux vers l’avion. Je n’eus que le temps d’entendre les derniers mots qu’Ormus m’adressait avant de claquer la porte derrière moi :
ORMUS : Ton Destin est déjà écrit, Marayad’Nir. Comme le mien. Il est déjà trop tard.
Au bord des larmes, je me laissai tomber sur le siège entre Jose et Roxane alors que le pilote démarrait le petit jet.
Roxane posa une main bienveillante sur mon épaule et ferma les yeux, prête à profiter du repos que nous avions tous mérité.
ROXANE : Tu as réussi. Je ne sais pas quel rôle tu avais dans tout ça, Visala, mais tu as réussi.
VISALA : Qu’est-ce que tu veux dire ?
Un mince sourire se dessina sur son visage paisible.
ROXANE : Tu les as tous sauvés.
Je restai silencieuse, incapable de décider ce que j’en pensais moi-même.
ROXANE : Je t’avais mise en garde contre ce qui risquait de t’arriver. N’essaye pas de sauver le monde. Le monde ne te le rendra pas.
A ma grande surprise, les paroles d’Ormus commençaient enfin à prendre un peu de sens.
Perdue dans mes pensées, j'aperçus seulement alors devant nous, dépassant juste de nos bagages entassés à même le sol, le bout de l'arc que j'avais utilisé dans le temple ainsi que les pointes de quelques flèches rouillées. Malgré tous les mauvais souvenirs de cette journée, je ne retint pas un bref éclat de rire en repensant à ma première flèche, réalisant à quel point j'étais soulagée de ne pas avoir blessé Jose ou Roxane avec.
Je me laissai pour la première fois hypnotiser par les symboles anciens gravés le long de l'épais manche de bois et me demandai quelle histoire ils racontaient.
Roxane avait dû m'entendre, car elle ouvrit un oeil et le posa à son tour sur l'arme antique. Elle afficha elle aussi un sourire.
ROXANE : J'ai décidé de le garder. Je trouve qu'il te va bien.
Je haussai un sourcil, un peu surprise, tant par sa réponse que par le sentiment qu'elle m'inspira : j'étais plutôt d'accord.
La jeune Meastienne étendit ses jambes au-dessus du siège devant elle et s'enfonça dans le sien, me posant d'une voix douce et fatiguée une dernière question avant de sombrer, bien consciente qu’elle n’obtiendrait pas de réponse.
ROXANE : Tu vas enfin me raconter ce qu’il t’a dit, hier soir ?
Je posai ma tête sur l’épaule de Jose et fermai à mon tour les yeux, espérant que je ne me souviendrais plus de ces quelques jours à mon réveil.
VISALA : X’uq alumbia.

FIN